lundi 5 mai 2008

Carnet de bord de l'Aventure africaine





Le 22 décembre 2007, l'Atelier Nomade part pour un voyage de trois mois en Afrique du Nord. Maroc, Mauritanie, Mali et Burkina nous attendent...Notre équipe est composée de 12 stagiaires photos venant de toute la France, deux assistants techniques, un chauffeur, un modèle et notre formateur, Claude Simon. Nous partons avec deux camions de pompiers aménagés, Albert et Lulu, le premier étant le camion "où l'on vit", et le deuxième le camion-labo, qui nous permettra de développer nos films et même de faire des planches contacts pendant le voyage. C'est une grande aventure qui s'annonce, et notre chemin sera jalonné de nombreux obstacles...Voici le texte intégral et corrigé de mon carnet de bord, qui sera envoyé au fur et à mesure à mes amis, à chaque arrêt cyber...

20/12/2007 : J-2, Canaules


Les camions sont prêts, on range l'atelier, et il nous manque quelques colis (on n'a que deux bidons de révélateur au lieu de 10 par ex...).
On emmène environ 900 pellicules ! Incluant de la diapo, du noir et blanc, de la couleur et des films 120 et 220. On aura du boulot niveau tirages au retour ! Heureusement qu'on développera sur place dans les camions.
En roulant à travers l'Espagne on dormira plutôt dans les camions, puis une fois au Maroc on dormira en tentes...Il fera froid dans le Haut Atlas ! La modèle et le mécano sont arrivés, donc nous serons bien 17 au départ...à voir si on sera 17 au retour ! J'espère bien.
On emmène avec nous, entre autres choses, une photocopieuse à donner, un écran de projection de l'armée, lecteur dvd, hauts parleurs, vidéoprojecteur...et une sélection de films français "tous publics" pour faire des séances cinéma la bas.
Egalement, tout un stock de médicaments à distribuer, ainsi que des plaquettes d'information sur le sida, etc. Vêtements à donner, magazines, livres...15kg de muesli pour nous.... (J’espère qu'il est bon...)
Pour les douches, on se douchera avec les réserves du camion (pas beaucoup donc), et on a du acheter chacun des lingettes pour bébé (c'est les plus naturelles parait-il...) pour les soirs ou on ne pourra pas prendre de douche... (D’autant plus qu'il faut garder de l'eau pour développer). On emmène des "rideaux de douche"... (Préférable tout de même dans le désert !)


Voici la liste des choses à faire et à ne pas faire pendant ce voyage !

La vie dans le camion


1. visite du camion


2. retenir la porte du camion, ne pas claquer la porte
respecter les autres


3. une place pour chaque chose = ne pas s'étaler


4. ne pas jeter de mégots ou épluchures, objets biodégradables quand le camion roule


5. ne pas laisser trainer sardines, compotes, vieux pains


6. la ponctualité = être à l'heure


7. à prévoir: gouters persos/ration de pain


8. le papier toilette; chacun son rouleau


9. la lumière dans le camion : être économe


10. on ne prend pas de l'eau pour laver trois chaussettes, on va à la fontaine


11. être sur ses gardes à l'extérieur


12. budget mini : 90 a 110 euros par mois


13. prévoir visas deux exemplaires


14. photocopies du passeport/photos d'identité


15. l'individualisme ne passera pas: être seul oui, tire au flanc non


16. qui sera le boulet de la semaine?


17. mauvaise humeur proscrite


18. corvée d'eau, poubelles, tri, hammam


19. remettre les choses à leur place


20. demander de l'aide si besoin


21. rincer sans consommer trop d'eau


22. les tiroirs ne concernent pas les stagiaires


23/12/2007


On est partis ! Hier soir à 22h. On a fait une pause après Montpellier, puis Claude et Jérôme (le chauffeur du deuxième camion) ont repris le volant alors qu'on dormait encore à l'arrière des camions...on installe des planches à l'arrière pour dormir. On a traversé la frontière ce matin, c'est la première fois que je traverse physiquement une frontière, mais rien de bien exceptionnel. Sur la route il y a 7 personnes dans la cabine de chaque camion, et trois qui s'allongent à l'arrière, bien au chaud. Au programme, lecture, musique. Les camions roulent à 60km/h sur autoroute, et on fait fréquemment des pauses. On roule très souvent la nuit, en dormant...


25/12/2007


Noel, on quitte l'Espagne. Je ne suis pas habitué à être dans un pays dont je ne comprends pas du tout la langue! La route à travers l'Espagne n'était pas si longue que ça. Je reprends un peu en main le F100, bien plus léger que le F5 (NB: boitiers Nikon).


26/12/2007


Au Maroc depuis hier soir! On a pris plus de deux heures pour passer la douane avec les camions. Heureusement on n'a pas été fouillés...On a dormi près d'un lac, départ avant l'aube...Ce n'est pas désagréable de dormir en roulant, malgré bruit et bosses.
Ce matin, réveil à Larache, et première douche depuis 4 jours ! Ca commençait à être juste...


27/12/2007, Boumia


Premières prises de vues au souk a Boumia, après une nuit à la belle étoile sur un matelas. Je n'ai pas eu plus froid que la fois ou j'ai testé mon sac de couchage à Lézan fenêtre ouverte (avant le départ), mais visiblement il devait faire 0 degré! Peu de photos...je n'ose pas trop, je ne connais pas ce pays et ces gens nouveaux!


28/12/2007, Boutserfine


Hier après le souk, on a roulé vers Imilchil, et on s'est arrêtés dans un petit village berbere. J'ai enfin réussi à prendre des photos. Je me fais offrir thé et œufs brouillés chez une famille. Portraits et autoportraits des enfants. Re-invitation à boire du thé et manger du pain. Puis, soirée tous ensembles chez les amis à Claude, couscous excellent, très bonne ambiance. Presque tous sont restés dormir chez l'habitant, pour ma part j'ai dormi dans le camion avec Julien et Sabine. Réveil en plein milieu de la nuit dans le froid, je regarde autour de moi, il y a du givre sur le coté intérieur des vitres... Je couvre mes compagnons d'aventure avec des couvertures. Au réveil, le ruisseau est gelé. Le boitier est congelé aussi, vive le scotch, mes doigts ne restent pas collés au métal !
5h de route sur piste, pour faire 80km. On a même roulé sur la neige; il y en a partout autour de nous, les paysages sont très beaux. Imilchil est à 2200m de hauteur!
Cuisine marocaine très bonne...on s'habitue à manger avec les doigts. En revanche thé et café sont toujours très sucrés, au moins 2 à 4 sucres par verre, et comme on en boit 10 par jour... (Difficile de refuser).
Gérer la vie en groupe: pour l'instant on s'en sort très bien je trouve! Mais j'ai du mal avec la fumée de cigarette dans les camions, et les ronflements la nuit...


29/12/2007, Imilchil


Souk à Imilchil, marché aux bestiaux. Ai acheté savon noir, pierre d'alun, épices pour tajine. L'après midi, ai marché jusqu'au lac, 4km, 2300m d'altitude, canne à pêche sur le dos, lac immense, deux heures pour en faire le tour à pied! Malheureusement pas de poissons. Rien vu, pourtant il paraît qu'il est rempli de brochets de belle taille! Je suppose qu'ils hibernent, vu la température de l'eau!


30/12/2007
Ai dormi tout seul dans la caisse du camion Albert, bien tranquille sans ronflements. Certes il fait froid ! Cette nuit, les bouteilles d'eau ont gelé dans le camion, à coté de moi...Heureusement avec mon sac de couchage "de compétition" je dors très bien.
Hier nous avons pu laver notre linge dans un ruisseau, a 2000m d'altitude...quel bonheur! On le fait sécher sur les pierres...
Les montagnes sont magnifiques. J'ai une sensation d'immensité, et pourtant il y a toujours une présence, rassurante. Pratiquement partout, il suffit de scruter le paysage pour apercevoir des enfants ou des bergers. J'essaye le viseur d'angle sur mon boitier (NB: accessoire pour boitiers réflex permettant une visée en angle droit), très intéressant car moins agressif qu'en visée normale. De plus il m'incite à couper les personnages en premier plan puisqu'on vise à hauteur de poitrine. Enfin, on a l'impression de saluer les gens...
Le Nikon F100 a bloqué mon film ce matin après 4 vues. Je ne sais pas si c'est à cause du froid? Le film était peut être gelé. J'ai sacrifié les 4 vues pour le remettre. Ici, plusieurs ont eu des problèmes avec leurs boitiers à cause du froid. Pour l'instant je ne sais pas si j'ai de bonnes images. Il fait trop froid pour développer (NB: la température idéale de développement étant de 20°C)!

Je suis dans un cyber, cela coute 40 centimes de l'heure.
Une idée des prix jusqu'ici:
fraises excellentes : 1 euro le kg
clémentines : 0,40 euros le kg
dattes: 1,40 euro le kg
figues séchées : 0,70 euro le kg.......................
Théière : 0.30 euro

Donc, en quelques jours je n'ai dépensé que 8 euros.
J'ai fait environ 8 films pour l'instant. Avant le départ, Claude m'a demandé de faire toutes les photos d'illustration de l'atelier et des stagiaires, ceci afin d'illustrer blog et plaquettes !du coup, cela me donne du travail en plus mais cela m'occupe bien! Il me donnera des films supplémentaires. J'en ai amené 100.

04/01/2008, Aghbala

Ai traîné un peu du côté des bouchers et de leurs étalages, des têtes de vaches suspendues partout...je suis entré dans un abattoir. J'ai tout de suite été très bien accueilli, cadre très convivial, beaucoup plus que les gens que j'ai rencontrés au souk par exemple. Je suis resté trois heures avec eux, quatre ou cinq hommes et deux enfants. Je me suis tout de suite replongé dans le contexte des autopsies (NB: travail réalisé sur plusieurs mois avec un médecin légiste en 2007, qui a abouti sur une maquette de livre), de l'odeur qui m'assaille quand je rentre dans la pièce...du sang et des tripes partout. La pièce était très belle, avec des colonnes, un lavoir au milieu, et des fenêtres en haut sur les cotés de la salle. Les gens étaient aussi très beaux, surtout le "chef". Ils étaient beaux dans leurs habits maculés de sang, et beaux surtout dans leur aisance, dans leurs gestes photogéniques. Malgré le contexte assez violent, j'ai trouvé que c'était un moment extrêmement fort. C'est ce que j'ai essayé de montrer. Ils m'ont invité à boire le thé et à partager le méchoui, en fait les abats que le boucher ne garde pas! Difficile de savoir ce que c'était mais visiblement des boyaux, du pancréas...hum hum. Yummy. En fait plutôt bon! Ils étaient très surpris que je mange avec eux sans dégout. Je suis d'ailleurs revenu plus tard dans la matinée pour leur offrir du pain.
J'ai fait beaucoup de photos, au 35mm, bien que le 24 eut été bien utile dans cette pièce. Presque tout à contre jour, avec parfois la fumée du feu et les carcasses fumantes dans l'air froid (Il est entre 8h et 10h du matin). Quelques portraits, posés ou pas, et des vues générales de leur travail. Pour moi c'était un travail en continuité avec ce que j'ai fait avec le médecin légiste, dans la mesure où la mort est présente, voire omniprésente. Ici, pour moi, voici les points qui m'ont interpellé dès mon arrivée:


- cet univers peut être beau, esthétiquement parlant, cf. configuration de la pièce, lumière, beauté des gestes.
- les deux enfants qui y travaillaient étaient forts physiquement et rayonnants, lumineux, en contraste avec leurs actes.
- la banalité de l'acte, la nonchalance et la bonne humeur.
- le besoin de ces gens de m'accueillir comme un des leurs, dans la mesure où malgré mes beaux habits et ma djellaba, je pataugeais dans le sang avec eux.


Voila ce que j'ai essayé de montrer à travers les photos : loin de montrer le côté répugnant de l'abattoir, surtout vu du monde occidental, j'ai essayé de montrer leur travail au quotidien, et que dans ce contexte la mort est de toute façon utile et nécessaire.
C'était en tout cas le meilleur échange que j'ai eu depuis le début du voyage.

09/01/2008, Ait Melloul

Ca y est, j'ai développé 14 films et Claude et son assistant Alban ont fait les planches contact au flash dans le camion labo.
Bilan : premières planches fades mais les dernières intéressantes.
Analyse des résultats avec Claude, ce qui m'a valu un cœur sur une photo, à envoyer aux concours...c'est une photo dans l'abattoir, très anecdotique...
Ai parlé un peu à certains membres du groupe depuis quelques jours, bien que le groupe fonctionne très bien, il y a quelquefois des malaises individuels, concernant notamment le sentiment de ne pas aboutir a de bonnes images ou relations avec les gens rencontrés. J'ai également été confronté à ces interrogations, passage obligé, mais je pense qu'une fois qu'on a confiance en son travail, le reste se passe plus facilement. Chacun a sa façon d'aborder les gens et de travailler. Personnellement j'ai toujours autant de mal avec les personnes que je rencontre. D'autant plus que je trouve hypocrite de prétendre à une relation uniquement dans le but de prendre quelqu'un en photo. Je préfère donc m'en tenir aux politesses de base, ou bien au contraire me consacrer entièrement à la personne.
D'autres ont beaucoup de facilité pour aborder les gens; certains évitent également toute confrontation. Idem pour la question de demander ou pas pour une photo. Je pense que cela dépend directement de la façon dont on aborde la personne, et de notre manière de nous comporter, de porter notre boitier, de nous déplacer. Dans tous les cas le respect de la personne me semble être la priorité.
Hier, peu avant la tombée de la nuit, en roulant près de la plage blanche, les deux camions se sont embourbés dans un mélange d'argile et de sable...On s'est déjà embourbés avant mais pas autant, et pas les deux camions en même temps ! On a mis plus d'une heure pour se dégager, avec pelles, buissons, treuil et plaques de désensablement. Très éreintant mais gratifiant lorsque les camions se dégagent.



Pour les douches, le temps de latence oscille entre deux jours (rare) et huit jours (fréquent) [NB: plus tard dans le voyage, on arrivera a 14 jours sans douche...]. Jusqu'ici il faisait froid, voire très froid (probablement -5°C dans le Haut Atlas), mais maintenant qu'on descend au sud, on commence à transpirer...lingettes indispensables, qui nous donnent, faute de mieux, l'illusion d'être moins sales...ou plus propres, selon; sinon, dans les villes (mais on n'en rencontrera plus à ce stade du voyage), environ 8 ou 10 DH la douche, soit un euro. Aujourd'hui j'ai fait un hammam, très agréable.
Concernant la vaisselle et le lavage des mains, du visage et des dents en général, on essaye de faire en fonction de l'eau disponible. On a une dizaine de bidons de 20 ou 25L pour 17 personnes, incluant l'eau pour le labo et la cuisine. On les remplit dès qu'on peut, toilettes, sources...mais l'eau va se faire de plus en plus rare à partir de maintenant.
Pour la cuisine, on a un réchaud à gaz. On fait la cuisine par groupes de deux. Pour l'électricité, on dispose de veilleuses dans les camions, branchées sur les batteries. On a également un convertisseur DC-AC pour charger les batteries d'appareils photo et autres lecteurs MP3 en roulant. On utilisera le groupe électrogène plus tard, dans le désert je pense.
Nos casiers individuels sont de plus en plus chargés et menacent sérieusement de se vider à chaque fois qu'on les ouvre après avoir roulé sur piste.


On les remplit au fur et à mesure de denrées diverses: pruneaux, dattes, barres chocolatées...pour la suite du voyage car apparemment en Mauritanie fini l'opulence, on risque de perdre les kg qu'on a pris !
Voila, aujourd'hui on fait des réglages et réparations sur les camions dans un garage, d'ailleurs on a fait sauter un rétro en croisant un autre gros camion.


On commence à longer la Plage Blanche, et à nous diriger vers la Mauritanie !
Apparemment on passera par le village ou il y a eu l'attentat, mais pas d'inquiétudes.


10/01/2008, Layoune


Roulé toute la journée, on était à la recherche d'épaves le long de la plage blanche. Les paysages se succèdent mais ne se ressemblent pas toujours. Tous les 5km, l'odeur putride qui s'infiltre dans les cabines nous rappelle la présence de cadavres de chèvres ou de vaches sur le bas coté ; bientôt ce sera des dromadaires...et nous ne sommes pas encore sur la route de l'Espoir!
On s'arrête à des marais salants, le sel est à 10 centimes le kg. Les sandwiches pain-huile d'olive du Maroc et gros sel sont excellents. Durant nos repas du midi, on prend conscience de la satisfaction que peut apporter un repas simple. On prend également conscience que les douches quotidiennes a l'occidentale sont un vrai luxe.


11/01/2008, Boujdour


Arrêt à Boujdour, ville presque fantôme, style western, rues vides à midi, des enfants nous abordent et nous suivent. Je marche vers le port mais c'est férié aujourd'hui, pas de bateaux en mer.
Arrêt près d'une épave en bord de mer. La marée est haute mais on pourra peut être y accéder a pied a marée basse.
Je me promène avec Aude, trouve des ossements, des dizaines d'araignées de mer, œufs de roussettes, os de seiches géants. On s'arrête également devant ce qui semble être un dauphin échoué...

12/01/2008


Journée près de l'épave. Marée basse le matin au réveil mais impossible d'en faire le tour à pied. Les filles ont fait des photos de nus et autres ailes noires et blanches. Claude et Alban ont fait une cinquantaine de planches contacts hier soir, ce qui nous fait gagner beaucoup de temps ; en gros il faut plusieurs coups de flash a main pour exposer correctement un négatif standard. Fixage, rinçage rapide, puis chacun prend deux planches au hasard et les fait sécher tant bien que mal au vent du désert...plutôt mal que bien d'ailleurs, mais les planches rayées, pleines de sable et froissées restent lisibles et nous donnent une bonne idée de notre travail.
Je note une baisse de moral de l'ensemble du groupe. Certains m'ont même parlé de quitter l'atelier et /ou rester au Maroc.
Le tout provient visiblement d'un manque de communication, d'une dévalorisation, d'une déstabilisation et d'une tendance à s'enfermer sur soi-même. En ce qui me concerne aucun souci majeur, je communique avec chacun et aucun souci de santé.
En revanche on manque généralement de temps pour les autres, pour discuter des projets. En gros, le groupe va bien mais les individus vont mal, m'ont l'air stressés par ce rythme de vie irrégulier.
En pratique, on roule presque toute la journée, en s'arrêtant dans les villes pour des prises de vues ou bien des escales techniques. Puis, on s'arrête le soir à l'écart des routes ou des pistes, loin des regards. On gare les deux camions de façon à couper un peu le vent, puis on sort de grandes nattes où les gens peuvent s'allonger ou discuter.



Les tentes sont stockées sur le toit d'un des camions. Les matelas sont stockés dans le caisson de Lulu, et les sacs de couchage dans des soutes réservées à cet effet.
Chacun monte sa tente (tentes de 2 ou 3 pers), mais certains dorment sur le toit ou bien sur les nattes. Pendant ce temps deux personnes préparent la cuisine pendant que deux autres font la vaisselle du repas précédent. Au menu ces derniers temps, en fonction des stocks : taboulé, poissons grillés, risottos, salades de pâtes...fruits secs, légumes frais, jambon cru (trois jambons ramenés de France) nous permettent d'agrémenter nos repas de temps à autres.
Après le repas en commun, chacun vaque à ses occupations ou bien investit les tentes. Je dors assez tôt, parfois sans manger.
Pratiquement tout le monde est tombé malade, turista ou grippe. Les fumeurs toussent. Je touche du bois.
Ai développé quelques films, finalement rien ne change par rapport à un labo normal, hormis l'exigüité et la faible quantité d'eau disponible. On peut faire sécher 20 films simultanément.


13/01/2008


Journée dans le secteur des "plaques", décrit comme tel dans le point GPS, en fait des falaises hautes et effondrées, formant de véritables plaques de roches, immenses ; un peu comme quand les routes de bitume se fracturent après inondations ou tempêtes.


Assez impressionnant, dommage que le moral de l'équipe n'ait pas été au beau fixe. Ce matin, premier clash sérieux entre Claude et le groupe.
Arrêt pour refaire les stocks d'eau. Seule eau disponible dans un lieu douteux au bord de la route : une eau vraiment imbuvable (j'ai gouté...), soi-disant à cause de la présence de souffre. On remplit les bidons, au moins pour faire la vaisselle ou se laver les mains. Inutile de préciser que je ne bois presque jamais d'eau en bouteille...
Arrêt au spot des plaques, grosse discussion avec Claude, le ton monte, certains partent sur les nerfs. Situation actuelle difficile ; cela n'a aucunement perturbé le fonctionnement du groupe mais l'humeur générale en a assez souffert. A voir.
Quelques personnes partent trouver un accès a la plage à travers les plaques, seaux en mains, pour ramasser des moules. Arrivés en bas, les moules sont effectivement bien là à profusion mais les vagues aussi. Bien entendu on marche en terrain instable et dangereux. C'est donc en caleçons, slips, culottes et soutien-gorge que les plus courageux se jettent littéralement à l'eau pour nourrir le groupe ! Dur dur, entre les moules qui tiennent fermement aux rochers et à leurs vies, le sol qui se dérobe, les rochers coupants et les grosses vagues qui nous fouettent. Tant bien que mal on remplit 3 seaux de dix litres. Remontée vers les camions, hasardeuse, aucune adhérence sur ce mélange de sable et de terre qui s'effrite, un seau d'un coté et le boitier dans le dos. Je me mets à penser qu'en cas de chute dans de tels endroits isolés, inutile d'espérer du secours !
Arrivés en haut, les moules sont saines et sauves, on les met à l'ombre pour le repas du soir. Julien a rencontré un pêcheur, qui lui a donné un joli bar moucheté de 40cm, une femelle pleine d'œufs malheureusement. Ici, les pêcheurs utilisent majoritairement des palangres et des filets. Je vide et écaille le poisson au bord de la falaise. Puis, tentative de pêche au lancer mais rien à faire, trop de vagues, je regrette la Réunion et ses lagons ! Je trouve en revanche une énorme tête de mérou (il devait faire 10kg avant de perdre la tête), des araignées de mer géantes (du jamais vu).
Retour au camion pour constater que le poisson, posé dans un seau sur un lit de moules, a disparu...acte de malfaisance, combustion spontanée, enlèvement pour expériences, stagiaire affamé? La thèse la plus crédible, la plus rassurante aussi, serait celle du chien errant qui, bien avisé de passer par la, par l'odeur alléché, n'a eu qu'à se servir...hum...
Déception pour le poisson, on se console de la journée en nettoyant les moules.


L'occasion de rappeler à chacun qu'un couteau peut servir à d'autres choses qu'étaler de la mayonnaise sur du pain.
Le soir, bilan de la journée, peu de productivité en prises de vues. Les 7 films développés par Thomas sont voilés, il semble qu'il se soit produit une réaction entre révélateur et eau soufrée, ou bien entre hyposulfite et eau soufrée. Plus de développements jusqu'a nouvel ordre. Point positifs, les moules au vin blanc étaient plutôt bonnes.



14/01/2008


Réveillés plus tôt que d'habitude, avant le lever du soleil, magnifique avec la brume au loin. On s'arrête à la station pour dépenser nos derniers DH. On peut enfin faire notre lessive, pour la deuxième fois depuis qu'on a commencé le voyage.
Arrêt dans un village de pêcheurs, c'est la saison du poulpe et de la seiche pendant trois mois. Il n'y a que des hommes ici...D'ailleurs on n'a pas le droit de se promener seul dans le village, pour raisons de sécurité. Les militaires nous suivent partout. Claude discute avec eux et on peut enfin prendre des photos sans être inquiétés.
Je descends voir l'arrivée des pêcheurs dans la crique. Ils arrivent en permanence, au moins 15 ou 20 canots en simultané. On nous explique qu'il y aura environ 300 canots sur la plage d'ici le soir, soit environ 900 pêcheurs. C'est l'effervescence, à chaque accostage sur la plage dix personnes viennent porter la barque motorisée sur le sable sec. Le tout en quelques minutes à peine. Des tracteurs roulent en permanence sur la plage, entre les gens et les bateaux, pour récupérer moteurs et sacs de poulpes. Chaque barque ramène son lot de poulpes et de seiches énormes, plus de 50cm, ils doivent abonder dans le coin. Le fond des bateaux est rempli d'une eau noire, teintée par l'encre des seiches; on dirait de l'huile de vidange.
Je reste trois quarts d'heure sans prendre de photos, mal à l'aise parmi tous ces gens qui me regardent. La prise de vues a l'air de bien se passer pour les autres, je prends quelques minutes pour observer Alban et sa technique très particulière, ce qui me motive à m'y mettre aussi. Je cours avec les pêcheurs quand les canots arrivent, je ne regrette pas d'avoir monté mon 24mm sur le F5, je suis en plein dedans et ça me plaît! A partir de cet instant je me sens à l'aise, dans mon élément, et je grille trois films en une heure. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, dommage que la lumière d'après-midi soit si dure. J'en suis à 20 films en 22-24 jours de voyage.
Le soir après deux heures de route, on s'arrête à une station à environ 130 km de la frontière. Apparemment les environs sont minés, pour la première fois on dort près de la route.

15/01/2008


Matinée reposante, on étend le maximum de cordes entre les camions pour y étendre le linge de dix jours de 17 personnes, soit l'équivalent de 10 mètres de corde pour certains; entre autres endroits pour accrocher le linge, rétroviseurs, garde-boue, toit du camion, pare-chocs, clignotants... on attend que tout soit sec pour partir.
Hier on a installé les tentes en terrain douteux, entre trois têtes de poisson et un chevreau a moitié éventré. En me promenant sur les terrains vagues je trouve divers objets, entre autres des poissons inconnus, mâchoire de chien, os divers, serres de rapace, œufs de serpents. Sur la route on croise plusieurs troupeaux de dromadaires, mine patibulaire et démarche stupide.
Poussière et sable deviennent problématiques, et vu l'état de mon viseur, constellé de points noirs, j'ai condamné au gaffer (Nb: scotch noir) tout ce qui pouvait encore être scotché. Gros nettoyage à prévoir au retour. Ici, quelques boitiers ont lâché ou bien sont sur le point de le faire. Le FE-2 de Sophie a rendu l'âme après une chute du camion, et le AE1 de Aude ne déclenche plus.
On est maintenant à la frontière du Maroc ; on attend avec nos passeports et nos fiches dûment remplies. Adresse déclarée au Maroc : Mercedes 911, 5946 ZL 30, soit l'immatriculation de Lulu !!!
Passage à la douane très, très long. Fouille du labo, ouverture d'une boite de papier par le douanier, Claude s'énerve et fait diversion, certains casiers individuels sont fouillés aléatoirement. Une fois passée la douane du Maroc, quelques km puis re-douane pour le passage en Mauritanie, re-fouille des camions, puis on peut enfin fouler le sol mauritanien. Première chose qu'on fait dès le passage de la frontière : pause pipi !
Puis on s'arrête à Nouadhibou, on change un peu d'argent dans la rue. Les billets passent de main en main, on est abordés plusieurs fois par des hommes nous proposant le change. Dans la rue le taux de change est de 350 ouguiyas pour 1 euro. On perd un peu par rapport au taux en banque.
On s'arrête dormir dans un ancien fort français, tout en ruines, il fait nuit mais on verra tout ça demain. On dort dans une pièce de 4m sur 6, c'est-à-dire énorme pour 11 personnes habituées à dormir en tentes. Il n'y a plus de toit, c'est magnifique de dormir ainsi, sur nattes et matelas, avec cette vue. Il fait très chaud, 20°C au moins. Quand j'ouvre les yeux, c'est un rectangle de ciel étoilé que je vois, exactement comme dans un viseur 24x36.
L'année dernière, les stagiaires se sont fait voler du matériel pendant leur sommeil, par des clandestins. Cette fois donc, aucune affaire avec nous, à part chaussures et sacs de couchages. Toutes les affaires dans les camions, et Claude et Jérôme y montent la garde. Deux personnes dorment sur le toit, trois dans les camions, le reste dans la pièce sans toit. La nuit je me réveille, j'aperçois Alban qui monte la garde à l'entrée de la pièce. Il aperçoit ou entend quelqu'un ou quelque chose, se met a l'affut derrière l'entrée avec un grand bâton...Il montera ainsi la garde toute la nuit, apparemment il n'a pas dormi.


16/01/2008


Réveil avec le soleil, on est en fait au bord de la mer et il y a un cimetière d'épaves de bateaux, je fais quelques photos sur la plage je trouve cela très beau et le ciel est menaçant comme je les aime.


Il y a un nombre incalculable de poissons morts, blessés par des carnassiers style petits requins, et échoués sur la plage. Je pense surtout que c'est dû à la pollution de l'eau, conséquence de tous ces bateaux rouillés...On croise des clandestins qui lorgnent sur nos boitiers...
On visite un peu le fort. Je ne connais pas trop son histoire...on sait juste que St Exupéry y venait, mais cela me fait une belle jambe...toujours autant de lacunes en géographie et histoire...J'écris dans ce carnet de bord dès que j'ai le temps de me poser, dans le camion ou ailleurs, très souvent dans la tente avant de dormir. La lampe frontale s'avère très utile, je m'en sers deux heures par jour minimum. Dans mon carnet je colle quelques éléments trouvés. Pour ce qui ne rentre pas dans le carnet, exemple œufs de serpents, mâchoire de chien, crane de chèvre, je les dessine au crayon et/ou aquarelle. Je ne fais pas forcément de photos tous les jours...certains y arrivent.
En ce moment on roule pas mal, le compteur affiche 4600 km depuis qu'on a quitté Canaules. Je suis pratiquement tout le temps avec Jérôme, le chauffeur mécano, et Clémence, l'assistante logistique (Alban est l'assistant technique), dans le camion Lulu car c'est le seul endroit décrété non fumeur. C’est également chez Lulu qu'on a le convertisseur 12V/220V, pour charger batteries et GPS. Les Talkie Walkies achetés par mes soins aux Etats Unis (interdits en France, ils ont une portée trop importante, 42km annoncés sur terrain plat, 5W) ne nous ont encore jamais servi puisque Claude n'allume jamais le sien de son coté. Il y a de toute façon un sérieux manque de communication d'informations entre les deux camions. Il semble que les Albertistes ne pensent pas à communiquer avec ceux qui suivent derrière. D'ailleurs, les rétros d'Albert en tête servent uniquement à la décoration ou bien au maquillage des filles le matin (je ne vois pas l'intérêt de se mettre du kohl et du parfum alors qu'on passe deux jours dans le désert sans rencontrer personne d'autre que des scarabées, mais bon...), et surtout pas à voir nos éventuels feux de détresse en cas de problème de notre côté. La France de l'arrière n'a pas son mot à dire! Aujourd'hui on s'ensable quatre fois d'affilée, les deux camions à la fois. En général, dans le meilleur des cas on descend et on pousse, sinon il faut utiliser le treuil, sous réserve que l'autre camion ne soit pas ensablé. Dans le match Albert vs Lulu, Lulu gagne donc par 3 ensablages, contre 6 pour Albert!
Petit topo sur les camions: ce sont des Mercedes Benz 911, ils datent de 1977 mais n'affichent que 40 000km chacun! Ce sont des camions de pompiers, équipés en 4X4. Albert a quatre roues jumelées à l'arrière, contrairement à Lulu. Les caissons ont été fabriqués sur mesure en fonction des besoins et n'ont pas du tout les mêmes dimensions. Lulu, le camion labo, est plus court qu'Albert, qui est le camion où l'on vit et où l'on cuisine.
Chez Albert, trappes et échelles permettent la libre circulation entre caisson, toit et cabine à l'arrêt ou en roulant. On roule a 6 ou 7 chez Lulu, et 10 ou 11 chez Albert (on a déjà roulé a 17, cela dit).
Les moteurs font 5,4L et ont une puissance de 130cv seulement, soit beaucoup moins que les moteurs actuels de même cylindrée.
Apparemment il y a bien des mines le long de la frontière Nord, on a croisé beaucoup de panneaux d'avertissement.


17/01/2008


Roulé toute la matinée vers Nouakchott. Il commence à faire chaud dans les camions et il faut judicieusement choisir sa place en fonction de l'heure. On ne mangera pas à midi car il n'y a plus de pain, erreur de logistique hier.
Arrêt près d'un petit village de pêcheurs, il y a beaucoup de vent, certains sortent leurs boitiers mais je laisse le mien dans mon sac, du sable qui vole partout, dans les yeux, les oreilles, partout. Un des stagiaires a d'ailleurs eu du sable à l'intérieur de la bague de mise au point de son 28mm, pas très rassurant. Pour l'instant, au moins 4ou 5 boitiers ont lâché...Je ne crains pas grand chose pour mon F5, mais surtout pour les objectifs...



J'explore donc un peu le village, sans boitier. Il y a des carapaces de tortues, et des poissons entièrement desséchés par le soleil, qui trainent dans le sable (les gens ne les mangent pas?) : j'identifie balistes, poissons globe, requins-guitare, raies, aiguillats...dommage que je n'aie pas emmené de bouquins sur la diversité piscicole en Afrique du Nord. Il paraît que ça grouille de poissons. Ici, ils pêchent en fonction des saisons, poulpes, courbines, ...et les vendent à des entreprises pour exportation. Ils ne mangent que les poissons "moins nobles..."
Avec d'autres stagiaires, je partage thé et riz/poisson avec un homme, Mohammed, qui est content d'avoir des étrangers avec qui discuter. Souvent, les gens nous parlent de Sarkozy et de Carla Bruni! Ils nous disent également que les Etats Unis sont nos ennemis et les ennemis des Vietnamiens. hum...
A Nouakchott, les gens de peau noire sont magnifiques et gentils. Beaucoup de Sénégalais qui viennent travailler.
On perd deux filles du groupe, qui ne sont pas à l'heure au point de RDV. Claude étant intraitable sur le sujet, on les abandonne et on sort de la ville dormir près de la plage. Ce soir je dors seul dans ma tente. Il fait de plus en plus chaud...Cette nuit, j'entends deux filles crier dans la tente d'à coté, mais comme elles n'ont pas donné suite je ne me suis pas levé. En fait, c'était une souris qui était rentrée dans la tente! Ça leur apprendra à la laisser ouverte avant de dormir ! La prochaine fois ca sera un serpent ou un scorpion blanc.


18/01/2008


Retour à Nouakchott pour la journée, on doit faire nos visas pour le Mali. Je me promène, plusieurs personnes nous proposent le change, je finis par en suivre un, Dah. Il nous propose le change à un taux bien inférieur à la banque, 341 ouguiyas pour 1 euro. Il m'explique bien que sans bénéfice, ce n'est pas intéressant pour lui. Je change trente euros. Il nous emmène un peu partout dans le marché couvert, j'achète 1/2 peau de chèvre semi-brute, pour 1300 ouguiya. Un étui pour mon couteau...J'achète un boubou bleu, 12500 ouguiya négocié à 4000... Il le paie avec son propre argent dans un premier temps, m'explique qu'il a dit au vendeur qu'il me l'offrait. Sinon, j'aurais payé un peu plus cher. Je le rembourse un peu plus loin...
On finit par retrouver les deux filles perdues, elles ont dormi dans une auberge.

Les stocks d'alcool ont été faits par chacun (sauf moi, qui ai donc perçu un avoir sur la cagnotte) au Maroc et ont soigneusement été cachés au fond des casiers et des soutes pour le passage en douane. Moi, je bois de l'eau... Sinon, j'avoue que je n'hésite pas à gouter à peu près tout ce qui me tombe sous la main, depuis l'épisode de l'abattoir je me dis que qui ne tente rien n'a rien. L'huile essentielle de sarriette, antibactérienne et antivirale, conseillée pour les infections intestinales, y est probablement pour quelque chose, vu l'état de santé des autres gens.

22/01/2008


Trois jours que je n'ai pas écrit dans ce carnet, faute de temps et d'humeur. Difficile de se rappeler tout ce qu'on a fait depuis. Rencontré à Nouakchott un Sénégalais du nom de Pape, très gentil. D'après ce qu'il raconte, il est coincé en Mauritanie depuis un mois car les touristes anglais qu'il guidait l'ont laissé là. Je lui ai donné ma montre du National Geographic. Je fais peu de photos, mais je le vis très bien. Pour le reste, des photos d'illustration de l'atelier, et des photos anecdotiques et disparates au fur et à mesure des rencontres.
Dans les villages où l'on s'arrête, j'essaye de trouver du cuir de chèvre tanné mais ils ne vendent que des peaux brutes. J'ai fait un portefeuille en cuir pendant les longues heures de routes, très fonctionnel, avec plusieurs poches. J'espère le garder très longtemps en souvenir de ce voyage.
Aujourd'hui c'est l'anniversaire de Julien, je lui ai fabriqué un portefeuille aussi, on l'a tous signé, puis chacun a fait une petite carte ou mot, qu'on a glissés dans les poches intérieures. Pour ma part je lui ai écrit "Regarder...pour mieux voir" et "le fauve est lâché, les poulets sont grillés". Depuis hier on roule sur 200km de piste pour Kiffa.


On s'est beaucoup perdus, car parfois la piste disparaît. On s'aide du GPS grâce aux waypoints marqués. Mais le terrain est difficile et on doit souvent faire de longs détours par rapport à la direction donnée par le GPS. Hier on a tourné en rond pendant des heures avant de retrouver la piste...on a fait les pleins de carburant, bidons etc...On a plus de gasoil que d'eau. On utilise enfin les Talkie Walkie, les camions se suivant parfois de très loin, se perdant de vue (et les traces sur le sable s'effacent très vite avec le vent).

Depuis qu'on a quitté Nouakchott, c'est de pire en pire pour le sable et la poussière. L’objectif d'Adeline a rendu l'âme après une chute dans le sable. Tout ce qu'on mange est sablé, et j'ai l'impression d'avoir une couche de poussière sur le visage en permanence (en fait c'est plus qu'une impression). Hier j'ai vu mon premier squelette de dromadaire.
Ce soir on fête l'anniversaire de Julien, on lui a donné son cadeau sur la route après lui avoir chanté joyeux anniversaire au Talkie Walkie de camion à camion.
Comme ces derniers soirs, je dors tôt, seul si possible, ou en bonne compagnie. Je ne recherche pas a tout prix cette convivialité, ces discussions autour du feu, cet effet de groupe. Je préfère me réserver aux discussions privées avec ces mêmes personnes, individuellement. Le groupe m'apporte peu mais la plupart des individus m'apportent beaucoup. Pour Sophie, j'ai en quelque sorte un rôle d'exutoire pour certains, et cela me convient bien. J'essaye d'être à l'écoute de chacun et de lui apporter ce qui peut l'aider à se sentir mieux. Cela peut se traduire de manières différentes, développer leurs films, discuter de leurs projets, les accompagner tout simplement. Je trouve très encourageant de me dire que je n'attends rien en retour et que je suis satisfait quand les gens qui m'entourent sont ou deviennent de meilleure humeur.
Ce sont également ces petites attentions qui me font plaisir: telle personne installe une tente pour moi pendant que je développe ses films, telle autre me ramène un crane de chèvre. A travers les rencontres que j'ai faites, je me suis rendu compte que ces gens avec qui j'ai partagé des instants souvent fugitifs, sont souvent empreints d'une grande générosité, malgré le peu de richesses matérielles qu'ils possèdent. Nous devrions en prendre exemple, nous autres occidentaux avec nos soucis relationnels, et matériels souvent mineurs.


Dans ce groupe, j'apprécie ceux qui se distinguent par leur simplicité. Dans leurs manières d'agir, avec nous mais surtout avec les gens qu'ils rencontrent. Très, trop souvent, je constate ce décalage entre nos deux sociétés, ces deux manières de vivre.
Comment pourrait-on prétendre prendre une personne en photo et créer une relation, si l'on refuse de partager avec lui abats ou verre d'eau d'origine douteuse. Est-ce à dire qu'on refuse de s'impliquer réellement?
Je pense qu'il faut parfois oublier nos préjugés d'adultes bien élevés, devenir plus humble, et se dire "ce petit morceau de viande est plein de sable, mais c'est pour eux du luxe."
Quand j'entends quelqu'un dire à un Marocain que son appareil coûte 1000 euros, j'ai honte de ces paroles et de ces gens. Des paroles tellement décalées et irrespectueuses. J'ai honte quand je vois quelqu'un du groupe manifester son dégoût juste devant un Mauritanien avec son étalage de viande, d'abats noirs de mouches.
Je pense que nous cherchons en permanence le bonheur pour vivre, tandis que la plupart des gens que je croise cherchent d'abord à vivre, pour être heureux.

Passons.

Ce matin, Julie a essayé de sauter du haut des dunes, accrochée à son hamac en toile de parachute amené dans ce but. Echec, lié peut être au vent trop violent qui, loin de gonfler le parachute au moment voulu, prit un malin plaisir à tout emmêler. Cela dit, j'ai pris des photos. J'ai bien cru que mon boitier et surtout mon 24mm allaient y passer, vu la quantité de sable que j'ai avalée (sans parler du sable dans les chaussures, les oreilles, le net etc...) Mais l'occasion était trop belle.
A propos de ce sable qui nous entoure et nous étouffe parfois dans tous les sens du terme, petite citation glanée au cours d'une conversation : "je me suis mouché, y'en avait tellement que j'aurais pu faire une dune avec". Beau et romantique. Certains saignent du nez à cause du sable. On se nettoie les yeux avec du sérum physiologique. Le pire, c'est le visage. C'est comme avoir de l'exfoliant en permanence, et à chaque fois que je passe la main sur mon visage, j'ai l'impression d'avoir du papier verre à la place des doigts. Quand c'est possible on se met de l'eau sur le visage, avec deux options: soit on l'essuie en s'arrachant la peau, soit on laisse sécher mais au moindre coup de vent on est recouvert à nouveau de sable ; et ça recommence...
Toujours à cause de ce sable, mes t-shirts propres ne tiennent pas plus de deux jours. On s'habitue à boire et à manger ce sable comme s'il faisait partie intégrante de l'assaisonnement. Parfois je me demande si c'est bien utile de laver les bols a café sachant que sitôt trempés le sable va se coller dessus comme des fourmis sur une goutte d'huile. Sable, je te hais.

23/01/2008


Cette nuit, Greg vient squatter ma tente, faute d'âme charitable pour l'accueillir. Il amène avec lui son lot de sable, ce qui me fait passer une mauvaise nuit. Difficile d'être tolérant parfois...

Hier, Julie a trouvé un lézard desséché, proprement dépecé pour être mangé...
Je suis ce matin en haut de la falaise de rochers près de laquelle nous avons passé la nuit. Je suis protégé par une cavité dans la roche. Difficile à décrire sur papier.



Nous commençons à voir nos premiers scorpions, un peu partout, sous les cailloux utilisés pour caler les tentes (certaines se sont déjà envolées sur 100 mètres), et sous les tentes elles-mêmes le matin. Ce qui me conforte dans l'idée que je ne dormirai pas sur une natte à même le sol. L'autre jour j'ai vu un petit serpent.
Hier, arrêt près d'une oasis dans le désert où, paraît-il, vit un crocodile (c'est même noté dans les guides GPS). On est restés vingt minutes, les yeux rivés sur l'eau noirâtre, à attendre qu'il sorte. Deux filles l'auraient paraît-il vu. Claude, qui l'a déjà vu les années précédentes, lui donne trois ou 4 m de long...
On croise une vache mourante, allongée, les yeux révulsés, tremblante. Il y a des cas de rage dans le secteur (on voit également un fennec prostré, dans le même état). On ne peut rien faire, il n'y a rien à faire. On ne peut rien faire. On passe.
Pendant que j'écris, un petit rongeur style marmotte (dassie en Afrique du Sud, daman ici) s'arrête a dix mètres de moi. Au loin, très loin sur cette plaine aride je vois des dromadaires. Ils sont partout. Comme tous les animaux domestiqués ici en Afrique, ils sont traités de manière assez brutale...
Les ânes mauritaniens sont magnifiques. On croise des troupeaux sauvages, plus d'une trentaine de têtes.
Scarabées cuirassés du désert, fourmis rouges à la carapace transparente et chromée, semblent venir d'un univers fictif mais c'est j'imagine le fruit d'une longue et nécessaire adaptation à ce climat sans pitié. Les cadavres d'animaux que j'ai vus ne pourrissent pas, ils se dessèchent au vent et au sable, puis finissent par se transformer en poussière et en os d'un blanc éclatant, polis par le sable.
La lumière le matin sur ces plaines de sable est très déroutante. Le ciel est toujours gris, il n'y a aucun contraste et les ombres sont inexistantes. On suppose que la brume qui nous surplombe est en fait un nuage de sable et de poussière permanent, formant un voile tel un calque, empêchant le soleil de nous atteindre. Cela fait un mois que nous avons quitté le sol français. J'ai pris, dans ce laps de temps, 5 douches, et ai fait deux lessives. Cela fait longtemps que j'ai renoncé à mettre des chaussettes, puisqu'on ne peut pas les laver. J'enlève donc mes chaussures dix fois par jour pour aérer mes pieds.
Il est facile, dans ces grands espaces, d'être seul et de se couper des autres. En revanche le son porte très loin, ne rencontrant aucun obstacle. Ce matin, Ilsen nous réveille en chantant en haut de la falaise, alors qu'il nous apparaît en petite silhouette difficilement reconnaissable.
Depuis deux heures, à 100 mètres de distance, j'observe les allées et venues des uns et des autres en contrebas, entre camions et tentes, entre tentes et rochers. Mais personne ne m'aperçoit, camouflé en gris dans les rochers. Une famille d'oiseaux bleus passe sans me voir.


Quand on s'arrête ainsi plus de douze heures, c'est à chaque fois les conflits internes pour le labo. Chacun veut développer ses films ou faire ses planches. Je ne comprends pas ce besoin, je ne ressens pas la nécessité et l'urgence de voir les images que j'ai faites. Je me souviens de ce que j'ai fait et visualise suffisamment les images que j'ai prises. Pourquoi s'attarder sur des images passées alors que je peux simplement voir et profiter de ces nouveaux espaces? Le résultat n'a plus réellement d'importance pour moi. Je ne tiens pas particulièrement à ces images (NB: hormis celles de l'abattoir et des pêcheurs, que j'ai déjà développées); seul le moment était important. Je n'ai pas besoin de rassurer mon égo en cherchant la bonne image sur mes négatifs, ni de me lamenter sur une image ratée.
Depuis quinze jours, l'observation prime sur la prise de vues. Observer...pour mieux voir. Cela me parle plus que de prendre des photos sans regarder ce que l'on voit et ce qu'il y a autour. C'est tout le problème de certains ici. Prendre des photos pour prendre des photos. Faire des planches contacts pour s'auto-congratuler puis les ranger jalousement dans son classeur, peur qu'on dise "ton image aurait été mieux si...." C'est du moins l'impression que j'ai. Il y a peu de partage entre nous. Il y a donc peu de partage sur notre travail.
Je prends un bain de soleil, allongé sur mon rocher, tout en observant depuis une heure trois marmottes à 20m de moi, qui font comme moi.

Episode difficile. Après midi mouvementée.
La lumière étant très mauvaise, on décide de partir plus tôt que prévu. Mais Aude manque à l'appel, elle est partie après le déjeuner dans les rochers. Claude enclenche plusieurs fois la sirène de pompier des camions, sans résultat. On fait des tours avec les camions, encore et encore. Le plateau de rochers est immense. Rien en vue. Pas de réponse. On la cherche ainsi longtemps, revenant à chaque fois au checkpoint.
On commence réellement à s'inquiéter, Claude décide d'aller sur le plateau la chercher. Equipe de secours. Bien sur il part avec Alban l'assistant, Jérôme le chauffeur. Et moi. Pourquoi moi? Je ne le saurai que plus tard...Je suis prêt. Il est 17h, chacun prend une lampe, il fera encore jour pendant deux heures mais on ne sait jamais. On prend deux bouteilles d'eau, interdiction de la boire, elle n'est pas pour nous mais pour Aude. Des biscuits, trousses de secours, Talkie Walkie, pulls. Au pied du plateau on se sépare (les autres restent en bas et nous klaxonneront s'ils la retrouvent). Claude et Alban côté gauche, Jérôme et moi côté droit. On gravit le plateau, on arrive en haut. Je me sépare de Jérôme, il explore les failles côté falaise tandis que je fais la même chose entre 50m et 100m de lui, sur une même ligne parallèle et imaginaire. On essaie de ne pas se perdre de vue...On appelle toutes les 10mn mais pas de réponse.
A ce stade, on est vraiment inquiets, peur qu'elle soit tombée dans une faille. Je cours tout le long du plateau, en zigzag, revenant voir Jérôme à chaque fois, revenant sur mes pas quand je pense avoir oublié une faille. Pas le droit d'oublier une faille. Je ne savais pas que ce plateau était aussi grand mais on finit par en arriver au bout. Là, je descends explorer le bas du plateau, puis remonte. C'est la première fois que je cours autant, sur ce terrain très accidenté. Une heure à courir et à sauter sans s'arrêter. En temps normal je n'aurais pas cru ça possible de moi. Je n'y crois plus, je suis fatigué, je m'attends à voir une jupe bleue dans une faille.
On se retrouve tous les 4 en haut, je suis complètement déshydraté et essoufflé. Claude distribue eau et biscuits. On décide de retourner aux camions au cas où, et effectivement on voit Ilsen nous faire des signes. Soulagement, énervement. On rentre aux camions et on repart tout de suite, sans attendre d'explications. Apparemment elle n'a entendu aucun de nos appels, et est rentrée d'elle-même après avoir passé l'après midi dans les rochers. L'essentiel est que tout aille bien, mais c'était épuisant pour moi, physiquement et surtout moralement. A aucun moment nous n'avons perdu notre sang froid, mais c'était éprouvant, on attendait sans cesse un appel au Talkie.

Je crois que c'est un sentiment que je n'arrive pas à expliquer aux autres restés en bas. C'était plus que de l'inquiétude. Je me suis imaginé plein de scénarios quand je la cherchais, je cherchais des traces dès qu'il y avait du sable, j'avais la gorge complètement asséchée à force de courir et de crier, presque de rage. Et surtout, cette peur de la retrouver. Cela, je n'arrive pas à l'expliquer. Je crois que seules les trois personnes qui étaient en haut avec moi peuvent le comprendre, et ce même si tous étaient concernés et inquiets comme nous.

Passons.

Depuis ce matin, plus d'eau ou presque. On se rationne et comme on ne peut pas faire la vaisselle, on fait au plus simple: chauffé des boites de lentilles saucisses ramenées de France, on mange en se servant des boites ouvertes comme de bols (10 boites pour 17 personnes affamées), et ensuite on "lave" les cuillères en les frottant avec du sable, pas très efficace ni agréable. Cet après-midi on a bu au compte-gouttes, essayant de ne pas trop s'activer. C'est d'ailleurs à cause de cette pénurie d'eau qu'on n'a pas pu emmener de l'eau avec nous quand on est partis à la recherche d'Aude.
Et ce vent qui nous dessèche, le nez, je n'ai plus de lèvres. Après avoir retrouvé Aude, on a fait un peu de piste de nuit mais elle va à l'opposé de la direction indiquée par le GPS. Albert s'ensable, les deux chauffeurs sont fatigués, on finit par s'arrêter près d'un mini village. Il devrait y avoir un puits, on verra demain. Ce soir c'est donc soupe en briques pour s'hydrater et avaler les comprimés antipaludéens. Un peu de réconfort. L'eau tous les jours au robinet, c'est du luxe, profitez-en !

24/01/2008


Réveil a 7h, pas vraiment reposé d'hier. On reprend la piste pour Kiffa, on remplit quelques bidons dans les puits qu'on trouve en chemin. Pas forcément potable, mais bon on fait avec.
Fin de matinée ardue, on doit franchir des dunes et on s'ensable plusieurs fois d'affilée, il faut couper pas mal de branchages pour faire passer Albert, au sabre. Il faut également porter les lourdes plaques de désensablement, tous les 5 mètres. On avance à petits pas. Claude est d'accord pour que je prenne des photos lors des passages difficiles. On passe, je crois, quelques heures sur ces quelques centaines de mètres. On croise beaucoup de 4X4 qui font leur propre Paris-Dakar. Ils roulent très vite dans les villages, les enfants s'éparpillent comme des moineaux, nous sommes dégoûtés et honteux de leur attitude.
Sur piste, Lulu passe souvent devant pour guider avec le GPS, et repérer les éventuels passages difficiles. Il arrive qu'on fasse demi-tour pour aider Albert.
Les Talkie nous permettent de réagir efficacement et rapidement. Nos conversations se limitent à : "Albert, vous êtes OK?" suivi de "On est ensablés, faites marche arrière", puis "bien compris, on arrive".


Recette pour vivre agréablement dans deux camions a 17 personnes, by Clémence Nguyen :


· Une dose d'initiative


· une cuiller a soupe d'écoute mélangée avec de la compréhension


· un grand bol de solidarité


· une dose de bon sens


· deux pincées d'humour


· une dose d'auto dérision


· un saladier d'autonomie


· Nettoyer le plan de travail, mélanger les ingrédients, ajouter avec délicatesse un verre de tolérance, saupoudrer de rigueur, napper de convivialité, enlever le surplus d'égocentrisme. A la fin de la cuisson, partager le gâteau. :)


·

Email envoyé aux autres stagiaires, pendant le voyage, lors d'un arrêt à un cyber :

[Je rêvais d'Afrique...
Je rêvais de voyage...

Plus de cauchemars sur des choses passées, pas de craintes sur des choses à venir, sur des "et si...», sur des erreurs.

Vivons le présent, vivons tout simplement.

Une fois, il y a deux mois, j'étais mal. Alors, une personne m'a dit "C'est bon signe! Cela veut dire que tu vis. C'est une chance, tout le monde ne vit pas. Regarde autour de toi."

Cette personne est aujourd'hui parmi nous.
Merci à vous,
je vous embrasse et je vous aime, et vous envoie deux photos à envoyer à vos proches.

Vinh]


25/01/2008


Journée mouvementée (...). Claude nous dit ce qu'il pense, certains d'entres nous le font également. Il est possible que des personnes l'aient mal ressenti, d'autres mieux. J'en profite pour essayer d'avancer. Expliquer mon point de vue, ce que je fais rarement en groupe.


Du coup, j'en profite pour lui expliquer en privé les choses auxquelles je tiens à cœur, qui m'empêchent de faire certaines choses ou qui m'aident à avancer. Je lui parle de mon ressenti par rapport à nos deux sociétés et mon mal-être quand je déplore certains actes qui pourraient être perçus comme un manque de respect.

De mon sentiment d'hypocrisie par rapport aux personnes que je photographie si je me sers en quelque sorte d'eux, de leur image, de leur générosité.
De mon besoin de temps, temps d'observation, de réflexion quand je suis confronté à un "sujet" ou à une situation.
De ma honte de nous voir, parfois, débarquer dans certains lieux comme des conquérants ou des fournisseurs de cadeaux.
De ma satisfaction de pouvoir rencontrer des gens et voir des lieux, avec ou sans boitier, sans ressentir le besoin absolu de déclencher, car seul le moment est important, le fixage de ce moment sur pellicule n'est pas forcément obligatoire.
De manière générale, de mon hésitation à m'impliquer ou pas.
Surtout, Claude m'apporte une réponse, plusieurs même, a ma question concernant le jour de la recherche d'Aude dans les rochers...Ces réponses, je ne sais pas si je les mettrai sur papier. Mais je ne les oublierai pas. Ses mots et ses raisons m'ont beaucoup touché, même si je m'attendais un peu à cette réponse.
Cette journée et ces discussions m'ont beaucoup fait avancer. Je vois certaines choses différemment, dans l'approche photographique et dans l'implication dans le voyage.


On a continué la piste vers Kiffa. Depuis quelques temps, des militaires nous suivent de loin en 4X4, apparemment pour s'assurer qu'on roule bien vers Kiffa comme annoncé (?). Appel d'Albert au Talkie, laconique : "On a crevé, faites demi-tour". Pneu avant gauche à plat, on a une seule roue de secours pour les deux camions. Pour y accéder, démonter le support à jerrycans de gasoil, enlever la sangle et faire rouler la roue grâce à une échelle (elle est très lourde, il faut s'y mettre à trois ou quatre pour la porter autrement).
Pendant ce temps, Jérôme, Alban et Claude démontent la roue malade, qui apparaît énorme une fois séparée du reste du corps d'Albert!
Je fais quelques photos, espérons qu'on ne crèvera pas d'autre pneu pendant les 30 derniers km de piste.
On arrive à Kiffa enfin, après plusieurs jours épuisants de piste, dans les plaines et le désert, sur sable et sur gravier, entre ânes et dromadaires, entre tensions et satisfaction.


26/01/2008


Près d'Ayoune. Ce matin, on reprend la route de l'Espoir, de Kiffa à Ayoune. 250km. Arrêt à Tintane, j'en profite pour acheter deux peaux de chèvres tannées. On négocie 3000 ouguiyas au lieu de 4000. Moins de 10 euros les deux peaux. Ai dormi sur le toit de Lulu cette nuit, quand il n'y a pas beaucoup de vent c'est mieux qu'en tente, nuit avec les étoiles, réveil avec le soleil...
Ce soir j'essaye de démonter la bague qui sert à indiquer le diaphragme au boitier, car elle s'est bloquée à cause du sable.

Petit topo sur les camions (bis)

Albert : longueur 8m
Poids à vide 5,7 tonnes
poids maxi 17 tonnes
surface 17m²

Lulu : longueur 6,50m
poids à vite 5,9 tonnes
poids maxi 10,6 tonnes
surface 14,8m²

Ce matin on a rajouté de la pression dans les pneus grâce au compresseur des freins, on avait dégonflé à 2 et 2,5 bars pour le sable, contre 4,5 ou 5 bars sur route. Consommation moyenne : environ 24l/100km sur route, probablement 30 litres sur piste... (!)


27/01/2008


Cette nuit, par défi, ai fabriqué un chapeau en cuir. Long et fastidieux mais beau résultat. Vais-je oser le mettre?
On s'est arrêtés près de grands rochers pour la nuit. En explorant un peu je trouve des balles au phosphore...pas pour la chasse aux marmottes.


28/01/2008


Arrêt près des rochers encore. La lumière du matin est toujours grisâtre, morose. Hier on a installé des panneaux de douches devant les camions. On a également sorti le groupe électrogène pour le tester. Jérôme en profite pour se faire tondre la tête. Je rate mon tour de tonte et de douche, un peu sur les nerfs (...). Claude me montre comment faire les planches contacts et je prends la suite avec Ilsen pour une bonne partie de la soirée. C'est en fait assez simple et rapide, il faut juste être rigoureux, organisé et surtout bien s'entendre avec son binôme. L'espace labo fait moins de deux mètres carrés...Côté gauche, je fais les planches et derrière moi, Ilsen s'occupe des étapes révélateur-bain d'arrêt-fixateur-rinçage. Je flashe une fois en direct, avec le flash à main. Ensuite, si le film est normal, je donne un autre coup de flash en direct, si le film est très léger, deux coups de flash indirects au plafond. Le principe est là. Je passe les planches à révéler à Ilsen au fur et à mesure, et a chaque fois que je vais donner un coup de flash, il recouvre la cuvette du révélateur avec une cuvette retournée, afin d'éviter tout voilage de papier en train d'être révélé. On a eu quelques bugs mais sinon ça a été très vite pour une première fois. En tout on a fait 66 planches...un premier record.
Séchage des planches au vent, puis tout le monde est parti se coucher après avoir parcouru avec fébrilité ses planches. Très mal dormi, beaucoup de vent sur le toit ; j'ai rêvé que je continuais à faire des planches contact...


Ce matin, je prends une douche avec 8 litres d'eau du labo, car suite aux douches d'hier il ne reste plus assez d'eau. Quel bonheur de se sentir propre, après 11 jours sans se laver!
Ensuite je développe 12 films, chance il ne fait pas encore trop chaud et l'eau est à 21°C. Elle atteindra 25°C l'après midi (30°C au Mali plus tard, comme vous le verrez). On transpire comme des bœufs. Mettre des films en spire à deux au labo, c'est du suicide ou bien un pur défi personnel. Depuis le début du voyage j'ai peut-être développé 70 films, avec ou sans aide. Une quinzaine à moi, le reste aux autres...
Petite balade dans les rochers, je ramasse une trentaine de douilles et des balles.


30/01/2008, Deberocoumba, Mali


Depuis hier soir au Mali !
En fait je ne savais même pas qu'on avait passé la frontière...apparemment on ne l'a pas passée officiellement car on n'avait pas de visas valides pour la Mauritanie...je n'ai pas tout compris? On est passés via la piste, comme des clandestins. Nos visas pour le Mali sont en revanche valides...
Avant de passer la frontière, longue journée de piste, très fatigante, 100km en un jour, en roulant des fois à 5 ou 10 km/h. Avant ça, on a fait une journée développements. 43 films développés en quatre sessions. Mes négatifs sur les pêcheurs du Maroc sont globalement un peu légers, et je décide de surexposer de 0,7 diaph pour les photos suivantes dans des conditions similaires. On verra bien...
Hier j'ai montré à Sabine et Sophie comment faire des planches. Le révélateur étant plus concentré, les noirs montaient trop vite et après plusieurs essais on a du passer de deux coups de flash à un seul. On a fait 46 planches. Je dors sur la natte a même le sol, car tout le monde dort quand j'ai fini les dernières planches.


Les gens sont incroyablement différents des Marocains ou des Mauritaniens. Très curieux et très gentils. Il est difficile de les décrire, c'est la première fois que je rencontre des gens avec qui je me sens aussi à l'aise.
Ai mangé du gigot de mouton grillé, excellent, mon coté viandard reprend le dessus après plusieurs semaines à manger très peu de viande.
Me suis fabriqué une sacoche en cuir très pratique, pour films, portefeuille, passeport et stylos.
Ce soir on mange chez un ami à Claude, Mamadou Sissé. Plein de photos d'enfants. Les 3 poulets choisis pour l'occasion attendent leur heure...mais on nous a aussi proposé de manger du blaireau....j'aurais bien essayé. On prévoit de faire une séance cinéma, avec videoprojecteur, écran militaire et lecteur DVD. Demain, c'est mon anniversaire.


31/01/2008 : une occasion spéciale

23 ans au réveil, avec le soleil, les ânes, les vaches aux longues cornes et surtout ces gens magnifiques.
Des instants merveilleux autour d'un puits et entouré de vaches; j'ai énormément plus de facilité à aller vers eux qu'au Maroc ou en Mauritanie.
Des sourires comme j'en ai jamais vus...mal aux joues à force de leur répondre et d'être heureux tout simplement. Beaucoup d'émotion derrière mon boitier. On a dormi près d'un pied de tamarin; ce matin on est à un autre village de forgerons; certains sont allés voir le marabout.

J'ai un gros problème, je n'arrive pas à arrêter de prendre des photos des enfants, tellement ils sont beaux. A trois films par jour, ca va aller vite. Hier Mamadou a dit qu'il avait pressenti qu'on allait arriver grâce aux signes des oiseaux.
On réussit à convaincre les femmes de défaire mes tresses et de les refaire (ma coiffure intrigue toujours). Je suis entouré de filles qui tirent toutes sur mes cheveux, mais au final je me retrouve avec dix tresses africaines magnifiques. Me voilà bientôt Africain.

J'ai enfin fait une sélection sur mes six dernières planches, il y a de bonnes images, je suis satisfait. Je pense qu'on pourra réellement faire des progrès ici au Mali. D'ailleurs l'eau est moins problématique qu'en Mauritanie, et on a plus de facilité à développer. En revanche il fait chaud, l'air est tellement sec que les films sèchent trop vite. L'eau s'évapore avant que sable et poussières n'arrivent en bas de la pellicule... Il faudrait vaporiser de l'agent mouillant pour régler le problème.
Depuis qu'on a quitté le désert de Mauritanie, le sable n'est plus un souci. Il a été remplacé par sa cousine la poussière ambiante.


Je suis poussiéreux de la tête aux pieds, sans parler du boitier...Hier j'ai pu me tremper la tête dans un seau d'eau, après cinq semaines sans me laver les cheveux. L'eau était noire comme la peau des gens.
On a même pu faire une lessive (la troisième).


Série d'images au 24mm en courant parmi une nuée d'enfants. J'ai bien failli en assommer quelques-uns avec mon F5 tellement j'étais près. Bon entraînement pour prendre conscience de mon espace et de celui qui m'entoure, en gardant l'œil gauche ouvert et le boitier protégé. Je suis déjà amoureux de ce pays.

01/02/2008


Excellente soirée en continuité avec cette journée. Ai reçu tout plein de petits cadeaux divers de la part de chacun : un grigri pour me porter chance, un mini trombinoscope du groupe avec des photos découpées sur les planches d'Ilsen, un faux poisson en scotch et en cailloux, du jus de mangue, du jus d'orange (denrées rares!), des petits mots et autres attentions. Egalement, un grand couteau de Mauritanie, manche recouvert de peau de chèvre (le premier d'une longue série...).
On a même eu droit à du fromage d'Espagne pour le repas du soir, occasion spéciale ! et jambon cru. Gâteau tiramisu confectionné par Claude avec les moyens du bord: biscuits, café, chocolat en poudre, chantilly en bombe! Bougies d'anniversaire. Cela m'a donné l'occasion de dire à tous ce que j'ai réalisé ces derniers temps, a savoir que chacun ici m'a beaucoup apporté à un moment ou à un autre. J'espère leur rendre la pareille en étant à l'écoute. Il subsiste bien entendu quelques conflits au sein du groupe, essentiellement pour des non-dits, des impressions de mise à l'écart parfois, l'importance de l'espace vital de chacun, et la participation au confort du groupe. Je trouve que pratiquement tout le groupe s'investit pour les autres d'une façon ou d'une autre. Donc, on a maintenant pris une bonne routine et une organisation efficace. Je me sens bien et tout à fait à ma place, prêt pour partir trois ans ! Quant aux démotivations, dévalorisations (fréquentes) et coups de stress de certains, ils ne peuvent que nous faire avancer et nous rappeler que la communication et l'écoute sont la clé de tous les conflits; pendant mes arrêts aux cybercafés, je profite souvent pour envoyer un mail au groupe, avec ressentis du moment, mots d'encouragement, photos numériques à transférer à leurs amis. Il y a, au fil des conversations, des coups durs et des moments d'euphorie, des liens forts qui se créent et qui se renforcent. J'ai également été très touché par ce qui m'a été apporté hier.

Après le repas du soir, on a projeté Kirikou pour le village. Moment magique, irréel, projeter un film en plein milieu de la brousse à des gens qui pour la plupart n'ont jamais vu le moindre film de leur vie ! On a installé le groupe électrogène entre les deux camions, et l'écran de projection militaire sur un coté de Lulu. Malheureusement le film était configuré en espagnol par défaut, mais tout le monde était hilare quand même à chaque action de Kirikou, adultes comme enfants ! Il y avait 80 ou 100 spectateurs ! Je n'ai pas regardé l'écran, j'ai regardé ces gens pendant une heure.

Ce matin, réveil aux aurores et petit déjeuner rapide. Je me dépêche pour aller revoir les hommes du puits. Le contact est facile, la lumière est très belle, poussières et gouttes d'eau à contre-jour. Je prends de la boue sur mon boitier, qui commence à bien vieillir dans le bon sens du terme. Je lui ai même rajouté un revêtement en cuir qui finira par prendre mes empreintes de crasse.
Les vaches sont belles et leurs cornes sont immenses, très impressionnantes. Aude a d'ailleurs ramassé un demi-crâne pour ses projets photo. Je ferai peut être de même.
J'approche les vaches avec circonspection, leurs cornes font facilement 60cm de long. Elles s'écartent mais l'une d'entre elles est séduite, elle n’arrête pas de venir me voir et de frotter son énorme museau sur moi. Très touchant et inattendu. D'ailleurs, dès mon arrivée, tout le troupeau a compris que j'étais différent des hommes d'ici !
Tout en prenant des photos, j'aide les hommes et les garçons à remonter les seaux et à distribuer l'herbe sèche au bétail. Ils me remercient avec sincérité...
Une demi heure après mon arrivée, certains du groupe arrivent, la lumière matinale et douce a fait place à une autre, plus dure. Le troupeau s'en va également. En ce qui me concerne la prise de vues est donc terminée alors qu'elle commence pour d'autres. Je retourne aux camions récupérer une partie du linge étendu hier, directement sur les branches d'arbre. J'ai pu montrer mes dix dernières planches à Claude et je ressors satisfait de cette discussion toujours enrichissante sur le groupe, mes photos et la photo en général. Il accorde beaucoup d'importance aux émotions mais également aux malaises de chacun, et m'en parle souvent.

Je profite que le labo soit disponible et l'eau a 20° le matin, pour développer mes quatre films d'hier et de ce matin. Une heure plus tard, j'ai donc déjà les résultats de ces 3 premiers jours au Mali; c'est magique! A ce rythme-la, on va vite progresser.

2/02/2008


Hier fin d'après-midi, on s'arrête à une petite ville où vit la mère de Mamadou Sissé. Pas de cybercafé, je cherche désespérément un couteau de boucher car ils sont magnifiques, selon mes critères en tout cas. On partage une pastèque, puis je pars en solo et au fil des errances dans les rues je mange attablé à quatre échoppe différentes: deux plats de viande en sauce avec 1/2 pain, un plat de haricots, et enfin un plat de brochettes avec salade. Quel plaisir de manger des légumes frais, des fruits et de la viande à tous les coins de rues pour des couts modiques (3F français pour un plat). En tout cas je n'avais plus faim avec ce repas en quatre temps. Oubliée, la frugalité de la Mauritanie.

On fait pas mal de route. Fin d'après-midi, arrêt dans une petite ville (je ne sais jamais quel terme utiliser, ville ou village); avant je travaillais souvent en binôme, maintenant je suis souvent seul car on a tous une manière différente de fonctionner. A trois, c'est carrément ingérable, et même à deux il faut être attentif à ne pas gêner ou être présent dans le cadre. Parfois également je ne suis pas très patient avec ceux qui m'accompagnent.
Je commence par acheter du mouton grillé, excellent. Je goûte également beignets et frites de manioc. Mon regard est attiré par les couteaux qu'utilise un artisan, il coupe le cuir avec. Il m'explique que cela ne se trouve pas partout et qu'il peut me vendre les siens pour 5F français. Je fais quelques photos et me dis que je reviendrai plus tard. En passant je ne peux m'empêcher de goûter des poissons frits, poissons chats, tilapias et une espèce que je n'arrive pas à identifier. 4 poissons pour 2F français... Retour chez l'artisan, je lui achète deux de ses couteaux, ils sont magnifiques et bien usés. On discute un peu, je lui montre la sacoche en cuir que j'ai fabriquée, il est ravi. Il me donne du pigment pour teindre le cuir.
Avant le retour au camion, dernier arrêt à une échoppe de viande...cela fait longtemps qu'on a mis au placard les recommandations des médecins concernant viande, légumes crus et eau qu'on nous sert. De toute façon, des fois on est tellement assoiffés que la question ne se pose pas.
Retour au camion donc, l'estomac plein et un paquet de poisson et de viande à la main; sans oublier une série d'images, car il ne faut pas oublier l'essentiel. Comparé aux pays précédents, le contact est extrêmement facile et même les très rares refus se font avec le sourire. Je me sens accepté par ces gens. Bien sur ce n'est pas une raison pour se comporter n'importe comment. Pour éviter les photos posées, il faut aller très vite, prenant trois images à chaque fois, pensant au cadrage avant même d'allumer le boitier. Boitier déjà dans le dos dès la photo prise, pour plus de discrétion et de respect. Le plus délicat reste, comme toujours, le chargement des films en plein air, au soleil et à la merci des poussières; tous les soirs je range les films exposés et notés dans mon casier, et replace des films vierges dans ma sacoche pour le lendemain. Depuis quelques temps j'ai prêté le F100 et le 35mm avec viseur d'angle à Sabine, je n'utilise plus que le F5 avec le 24mm depuis plusieurs semaines. Taches de boue, de thé, de sang, sable, poussières, chocs, rayures, tout y passe. On y croit, il finira le voyage. Il fait de plus en plus chaud dans le camion et l'après-midi cela devient intenable sur piste. En revanche les nuits sont assez fraîches à partir de 3 ou 4h du matin. Je dors sur le toit de lulu, mon amante du soir, très confortable sauf quand elle est garée penchée. Mes "roofmates" varient selon les humeurs et la température de l'air, je dors souvent avec Jérôme, avec qui je passe toutes ces longues heures de route à l'avant du camion. Cet après-midi on s'arrête sur la route de terre pour aider un camion en panne de batteries. Claude s'arrête souvent pour aider voitures, 4X4 ou camions en détresse, embourbés, ensablés ou en panne.

Les yeux des enfants brillent quand je les prends en photo. La prochaine fois, je demanderai à ma binôme si les miens brillent aussi.

3/02/2008


Anniversaire de Clémence, notre assistante logistique, 30 ans. Comme la dernière fois, chacun a confectionné un petit cadeau. Ce matin, on arrive à Bamako, on y reste quatre heures; Claude nous explique que des stagiaires ont déjà eu des problèmes les années passées et nous rappelle quelques conseils : pas de sac dans le dos, pas de boitier trop visible (NB: a Nouadhibou, un des stagiaires s'est fait embarquer au poste de police pendant deux heures...), partir à 2 de préférence, attention aux faux billets. Je préfère cependant marcher seul, car je n'aime pas attendre ou faire attendre tous les 50m. A plus de deux, ca fait vite troupeau.
Je prends toujours mon boitier au cas où mais décide de ne pas faire de photos, lumière très dure, je marche assez vite mais reviens très fréquemment sur mes pas pour observer des endroits que j'ai repérés. Sandwiches brochettes, papayes, ananas en morceaux, yaourt glacé en sachet, boissons au tamarin et au gingembre, je me régale.
On reprend la route, direction annoncée : Ségou. On s'arrête à Fana en fin d'après midi.
Idem, je me balade seul, on n'a qu'une heure alors je me limite à l'espace du marché couvert, qui est "vide" mais "plein" de gens intéressants. Le soir on fête l'anniversaire dans cette même ville, pintade braisée pour tout le monde.
Je discute un peu avec Sabine, elle aime bien utiliser le boitier que je lui ai prêté, alors je vais peut-être le lui vendre. En fait je l'avais acheté peu avant le départ comme boitier de secours pour mon F5 en cas de panne. Il est presque aussi évolué, mais moins robuste, moins lourd, plus discret. J'ai fait une dizaine de films avec au Maroc, il est facile à manipuler mais pour moi cela reste un boitier de secours.

4/02/2008, Ségou


Fin de matinée à Ségou, comme à chaque arrêt, on nous donne une heure de RDV et chacun est lâché en liberté. Pour la plupart nous n'avons pas de montre (enfin je crois), de toute façon au bout d'un moment on arrive à évaluer un peu le temps qui passe. En cas de doute je demande aux gens dans la rue. On se promène donc, et après un bon repas (je suis suivi par deux stagiaires, je n'arrive pas à les semer dans la foule, ils savent que je vais trouver de la viande grillée en suivant mon instinct) je me balade en long, en large et en travers au marché, immense. Il est organisé selon les produits qui y sont vendus : poissons séchés, habits, tissus, légumes...je m'arrête dans le quartier des marabouts. Il y a foule de choses séchées, têtes de chats, d'oiseaux, pattes de singe, peaux de lézard, dents d'éléphant, hérissons...Au rayon poissons frais et vivants, le Niger est à moins de 200m : je reconnais entre autres un poisson chien énorme, plus d'un mètre, avec des dents parfaitement triangulaires d'un centimètre de coté. Effrayant.
Je cherche un couteau de boucher mais impossible à trouver, je vais donc directement voir les bouchers, qui en possèdent souvent plusieurs. La plupart me proposent 50F pour leur couteau. Finalement j'en trouve un qui me plait, je le négocie à 20F. On dirait une dague, lame de 30cm de long. Plus tard je rencontre même quelqu'un qui veut m'acheter ma sacoche en cuir, plutôt surprenant comme proposition. Il a une vieille besace de touareg en cuir, je pense à la troquer contre ma sacoche mais finalement je la lui achète pour 20F.


7/02/2008, Sokoura Baobab


Sokoura, 150km de Mopti. On est depuis trois jours dans un village d'un autre ami à Claude, Jérôme Dena. Il fait très, très chaud. Je fonds, ce qui explique peut-être le fait que j'aie maigri depuis le début du voyage (selon les dires de certains). Pourtant malgré tout ce que je mange...
Dès 9h du matin on transpire à grosses gouttes. Aujourd'hui, journée développements et soirée planches contacts prévue. L'eau atteint 30°C la journée...seule solution, rafraîchir les bidons de 20L en les enveloppant dans du tissu humide, qui fait baisser la température en s'évaporant. On a ainsi gagné 8° au bout de quelques heures. D'ailleurs, je fais la même chose pour ma gourde et ça marche très bien, surtout au vent. Un peu de réconfort dans la chaleur (c'est l'hiver ici).
Le moral des troupes n'est pas au beau fixe. Déjà, on a été pas mal à être affectés par un mal mystérieux. Troubles intestinaux, migraines, courbatures, douleurs, fièvre. Mystère. Pour ma part heureusement rien de tout ça, j'ai juste ressenti une grande faiblesse en fin d'après midi mais après une nuit de sommeil c'est reparti pour un tour. Ensuite, pour X raisons, il y a depuis quelques jours et aujourd'hui en particulier, pas mal de tensions. Je suppose : le mal mystérieux, le sentiment d'être lésé par rapport aux développements films, le manque d'anticipation, le sentiment parfois que tout est acquis, voire dû.
Ce matin j'ai beaucoup discuté avec Claude, la communication est très facile maintenant grâce à diverses choses. Je pense que globalement il est un peu déçu des résultats du groupe, car les gens ne se posent pas assez de questions ou bien, quand ils le font, ne se donnent pas les moyens à 100% de trouver de vraies réponses. Donc, on stagne. Dommage ! Trop de confort tue le travail, les gens ne se rendent même pas compte de la chance qui nous est donnée de pouvoir développer des films dans la brousse et voir notre travail, alors que cela nous donne les moyens de faire des progrès...sur 12 stagiaires, on n'est que 4 à savoir faire des planches... Je m'attache beaucoup en ce moment à obtenir une meilleur exposition de mes films. La mesure matricielle marche bien dans la plupart des cas, mais souvent une légère correction semble apporter plus de détails. Pas évident ici avec lumière très dure, peau noire, murs clairs, contre-jours...un vrai casse-tête; j'ai lu un chapitre technique sur le zone system mais je n'ai strictement rien compris.
Cet après midi, sacré coup sur mon boitier, je frôle peut être trop les murs ! Hier on est allés à un grand marché, un peu de tout, viande, poissons séchés, ustensiles divers. Je suis resté avec un homme qui fabrique des sandales en pneu, et un autre qui fabrique des tamis à farine. Ils m'ont invité à partager leur repas, et je suis resté plusieurs heures avec eux. Pour les remercier je leur offre une boite de thé et un couteau achetés sur le même marché. Ils étaient simples et généreux.
J'ai également acheté un autre couteau de boucher, magnifique, manche en bois, lame à double tranchant. De quoi étoffer ma collection, il y a déjà neuf couteaux dans mon casier...

Ici comme dans d'autres villages au Mali, les gens mangent du chien (NB: attention, cela ne concerne pas tout le Mali, uniquement quelques villages isolés). Hier j'ai assisté à l'abattage d'un chien. Heureusement il ne ressemblait pas du tout à un labrador blanc. Je n'ai pas pris de photos car exceptionnellement je n'avais pas mon boitier, et surtout, pour en avoir parlé avec Claude et Alban, je suis tout à fait conscient des problèmes que peuvent engendrer de telles images. Sorties du contexte (tradition, croyances, la viande ce chien serait un remède contre la méningite), elles pourraient avoir un impact très négatif. Il est très, très facile de diaboliser un tel sujet et de donner une image de sauvages. Donc, face à ces préoccupations et toujours dans une idée de respect des sujets, j'ai observé, et réfléchi. Si l'occasion se représente, je pense savoir maintenant quels cadrages adopter et quelle représentation donner.
Cet après-midi, j'ai donc eu l'occasion de manger de la viande de chien et de la tête d'âne. Suis-je pour autant un sauvage? Je ne pense pas. (Certains en plaisantent quand ils me voient aiguiser mes couteaux à longueur de journée). Si l'âne n'est pas génial, le chien en revanche est très bon (j'en ai remangé depuis). Au rayon des curiosités, on m'a également invité à partager de la noix de cola (immangeable, amère, mais faisant partie de la tradition donc impossible d'y couper), du poisson chat séché puis réhydraté durant la cuisson en sauce, du chapalo (bière de mil, fabriquée avec des graines germées et séchées, puis fermentées pendant trois jours), des boissons diverses. Alban a égorgé trois poules pour le repas de ce soir.

8/02/2008


Hier, 40 films ont été développés, comme à chaque session de développement.
Ce matin, sabine et moi avons fait les planches contacts, 50 en tout; on commence à avoir l'habitude. Je pense que depuis le début du voyage, au moins 250 planches ont été faites (j'en ai fait 150). J'ai 31 planches.
Cette fois ça a été très vite, on était bien synchronisés. Par rapport à la dernière session, on a dilué le révélateur à 1+8 au lieu de 1+7, les noirs sont moins bouchés et les gris plus nuancés; à chaque session les planches s'améliorent et elles n'ont rien à envier aux planches faites en labo!
Je suis très content de mes dix premiers films du Mali. Les essais de correction d'exposition, de sous développement (N-1) des 400 iso exposées pour les ombres, ont apparemment permis d'obtenir des négatifs beaucoup plus détaillés. Les tirages en seront facilités. Sur ma sélection il y a presque uniquement des contre-jours...Il y a des images très belles.

Depuis ce soir, on est au Burkina Faso ! Comme la dernière fois on a encore passé la frontière comme des clandestins, sans visa...on fera le visa demain à Bobo.

Email envoyé aux autres stagiaires, pendant le voyage, lors d'un arrêt à un cyber :

[ Adding the grey to black and white ; ajoutons du gris au noir et blanc.

Doit-on en déduire qu'il faut également ajouter des nuances à ces moments que je vois soit en noir soit en blanc?
Trouver le juste milieu...corriger les erreurs, voir autrement. Être présent ne suffit plus, car j'ai l'esprit ailleurs.

Tout est dit.

(...)

Je vous souhaite de bons déclics.

Vinh ]

10/02/2008, Bobo


Depuis deux jours au Burkina donc. Ici les cybers fonctionnent de la manière suivante : on paie un forfait d'une heure ou plus, et si on n'utilise pas tout, on peut finir le forfait dans les 30 jours, grâce à un code personnel fourni, sur n'importe quel ordinateur du cyber. C'est bien pratique car on peut acheter plusieurs heures si on reste plus de deux jours par exemple.
Bobo est une grande ville, et comme à Marrakech, Nouakchott ou Bamako, cela ne me donne pas envie de prendre des photos : à peine un film aujourd'hui.
Je me promène au marché sans conviction, je rencontre par "hasard" les bouchers, l'un deux me propose spontanément de visiter l'abattoir mais il m'explique que les animaux sont abattus tôt le matin ou à partir de 16h, je préfère donc rester avec lui et partager de la viande grillée avec piment. Je prends quelques photos de ses amis bouchers mais globalement je vois bien que les gens vivant en ville n'aiment pas qu'on les photographie. Comme je n'aime pas du tout les photos à la volée, je préfère décidément les petits villages! Un des bouchers que je photographie porte un t-shirt portant l'inscription "She kicks, hears, and feels pain...Abortion kills kids".
Arrêt au cyber, j'arrive à scanner trois planches contacts et à les envoyer telles quelles. J'espère que comme cela, mes contacts pourront visualiser quelques éléments de mon texte. Je flâne dans les rues, le RDV est à 18h, c'est long. Pris d'une subite inspiration, j'entre dans un "salon de coiffure", et me fais tondre la tête en dix minutes, ouf, après tout ce temps, cela fait du bien de ne plus avoir de moquette sur la tête, nid à poussière et à sable (NB: à mon retour en France après trois mois de voyage, il me faudra 5 shampoings d'affilée après avoir défait mes tresses pour que l'eau ne soit plus marron...). Je photographie le coiffeur dans le miroir en train de tondre son frère.
Je cherche à manger et m'arrête chez un vendeur de volailles, il a une petite échoppe sympa et me propose une soupe de poulet, excellente. Je mange 3/4 de poulet en tout...Souvent je ne mange pas le soir vu ce que j'ingurgite la journée! Il achète des carottes pelées et lavées à une jeune fille qui passe un plateau de carottes sur la tête, et m'en offre une cérémonieusement, ce n'est pas la première fois que je vois ça au Burkina, et je pense que c'est une sorte de tradition de partager la carotte avec les invités.

(...)

13/02/2008


Retour à Sokoura Baobab, le village de Jérôme Dena, après trois jours au Burkina. Pendant cinq jours trois personnes sont restées avec nous, on a donc voyage à vingt dans les deux camions, avec Jérôme Dena et le frère d Alban et son amie. On est restés à Bobo pendant deux jours. J'ai fait très peu d images, en revanche j'ai observé beaucoup de refus, parfois même agressifs, face à ceux que j'ai accompagnés. Ilsen a même dû sacrifier sa pellicule et payer une amende de dix euros au Trésor Public du Burkina, pour avoir pris des photos d'enfants près de la douane à la frontière... Pour moi cette première approche du Burkina a été beaucoup moins accueillante qu'au Mali, même s'il est vrai qu'on n'a pas eu l'occasion de s'arrêter à de petits villages... Claude m'a expliqué que l'arrêt au Burkina était surtout destiné à remonter un peu le moral des troupes : bars, cybercafés, restaurants, location de mobylettes, douches...les stagiaires de sexe masculin ont pour la plupart loué des mobylettes pour les deux jours et se sont amusés comme des fous (à part trois pannes sur 3 mobylettes différentes). Même Claude en avait loué une. Jérôme, passionné par tout ce qui possède un moteur et plus de deux roues, m'a emmené faire un tour très sympathique. De toute façon, un seul code de la route, ne percuter personne et ne pas oublier que le véhicule le plus gros est prioritaire. M'enfin, je préfère quand même ma 650cc, quitte à respecter les limitations.
J'aurais pu louer une mobylette, mais je n'aurais pas su où aller. J'ai flâné un peu avec Sabine, ai acheté quatre couteaux dont deux pour offrir à ma copilote et à mon ange-gardien. Sabine m'a également offert un boubou du Burkina, blanc, très beau et salissant!



Lieu ; un village du pays dogon
Date : inconnue, entre le 15 et le 18 février.

J'ai quelque peu perdu la notion du temps; cela fait plusieurs jours que je n'ai pas écrit, priorité aux prises de vues pendant la journée, moral en baisse, fatigue qui en découle.
J’essaye de reprendre là où je m'étais arrêté, la sortie du Burkina Faso après deux jours à Bobo. A l'aller on était passés par la piste, sans passer par la douane donc sans visa ; pour le retour on a pris la route et donc le risque de payer une amende, prétextant qu'on s était perdus sur la piste. Cela n'a pas marché, on a donc dû remplir les formulaires pour les visas et payer 15 euros, sans amende. Je n'étais pas mecontent de quitter le Burkina.


Moment difficile et personnel que je ne décrirai pas ici. Passons.


Retour au village de Jérôme Dena, journée développements, 40 films ont été faits, une régularité sans faille. Les tensions habituelles, notamment pour la gestion de l'eau, (bidons à humidifier régulièrement pour refroidir l'eau) et le rangement du labo, problématique.
Ilsen et Sophie feront 43 planches le lendemain matin, à 6h30, avant le réveil général (on se réveille souvent vers 7h). Vu que je dors sur le toit avec Jérôme, difficile de dormir lorsque des gens sont au labo car le camion bouge. Mais cela arrive rarement car en général on développe à des heures normales.
Je me balade un peu dans le village au hasard et mes déambulations me font rencontrer les hommes avec qui j'ai mangé du chien la semaine précédente. Ils m'invitent à aller avec eux, c'est le jour du marché où les gens habitant les environs viennent à Sokoura acheter viande et chapalo. Ils ont préparé deux chiens abattus le matin et vont les vendre. Deux chiens vivants coûtent environ 100F, soit 15 euros, et ils peuvent espérer gagner 25F de bénéfice. Ce sont souvent des mâles, ils gardent les femelles pour la reproduction.
Je les accompagne donc au marché et reste assez longtemps avec eux, ils me font tout goûter : cœur, foie, intestins, mais également poumon et sang...le problème est que chaque personne qui vient en acheter me propose de goûter, et très vite je n'ai vraiment plus faim. Idem pour le tchapalo, j'en partage avec dix personnes différentes et finis l'après-midi à moitié éméché. Mais bon, tant que c'est pour le travail! C'est ce que je m'évertue à dire aux autres stagiaires qui ont enfin fini par s'habituer à mon peu d intérêt pour toutes les boissons alcoolisées; on boit le chapalo dans des calebasses, magiques car pour une raison ou une autre, elles refroidissent ce qui y est versé pour peu qu’ on attende une dizaine de minutes. On ne sait pas trop comment, elles sont poreuses mais étanches. Mystère. On gagne ainsi plusieurs degrés et on a même émis l'idée de les utiliser pour refroidir l'eau de développement mais pour des raisons logistiques évidentes cela s'avère irréalisable. Après deux heures à manger a satiété (on m'offre également cacahuètes, poisson, manioc) et à boire jusqu'a plus soif, tout en prenant (quand même) des images, je retourne aux camions, non sans avoir au préalable échangé ma précieuse sacoche en cuir contre un vrai sac en cuir peulh ; il est fabriqué d'une seule pièce, avec la peau d'un chevreau, on distingue encore les pattes arrières. Il est très original et souple. Bref, tout le monde est content, d ailleurs plusieurs personnes m'ont déjà propose d'acheter ma sacoche. Alban a encore égorgé deux poulets, on les mange en sauce avec de la semoule et des pois chiches marocains mis à tremper le matin.

La route du poisson, vers Mopti, on y arrive en début d'après midi, rdv à 19h comme souvent. Je mange avec trois personnes du groupe, ce restaurant ne propose pas de poisson et de toute façon je préfère systématiquement manger dans la rue, moins cher et meilleur. Je sors donc chercher du poisson frit ; je choisis moi-même les poissons, dont le prix oscille entre 1 et 4 F selon la taille, puis la vendeuse les met à cuire dans de l'huile bouillante sur des braises, avant de les saupoudrer de sel et de piment. Un vrai régal, je goûte plusieurs espèces, poisson chat, poisson chien, capitaine...tous excellents.
Dans l'après-midi je négocie avec un rabatteur de touristes pour aller en barque sur le fleuve Bani, qui rejoint le Niger; il est large mais peu profond. Je pars donc tout seul pour une balade de deux heures, c'est très reposant, aucun bruit à part l'embarcation qui glisse sur l'eau grâce à une perche ou une rame (si l eau est profonde). Je fais quelques photos puis en profite pour m adonner à de longues réflexions sur les derniers jours. Au bout d'une heure je demande à mon guide de me laisser à un village bozo, j'écourte donc la balade volontairement et le paye comme prévu. Je m aventure seul dans ce petit village mais il s'avère hostile, la plupart des gens ne me répondent pas et de toute façon ne me comprennent pas. J'arrive tout de même à rester avec une famille, puis une autre. Une des femmes me montre l'album photo de famille. Son mari me montre comment il fabrique des filets de pêche, c'est assez complexe.
Un peu mal à l'aise tout de même, je décide de retourner sur l'autre rive, sur une autre barque. Je croise quelques autres stagiaires au marché et décide de m'acheter un autre boubou, modèle peulh , orange, en bazin, coton tissé d'une manière particulière. On me propose 30 000 CFA, 45 euros, je propose 7 000, on discute vingt bonne minutes (après que je me soie lamenté sur mes revenus d'étudiant) pour 12 500, mais j'arrive à obtenir un deuxième pantalon avec. Il est très beau, et je le fais raccourcir à ma taille. Il n'y a que des hommes couturiers, pas de femmes. C est l'heure de rentrer aux camions.
Repas dans une petite ville avoisinante, je vais dans une échoppe.

Le lendemain, retour à Mopti, ayant dit à Claude mon intérêt pour les possibilités qu'offre cette ville très différente des autres, le rdv est encore fixé à 19h, on a toute la journée devant nous. Une fois n'est pas coutume, je pars avec Sophie car aujourd'hui la solitude me serait désagréable. La journée se passe sans surprises, je me force à faire 4 films. On rencontre un ami à Claude, photographe de rue, il fait des photos avec un système génial qu'il a fabriqué, très basique : il a construit une petite chambre noire faite de bric et de broc, posée sur trépied, avec un objectif. Quand il enlève le cache de l'objectif, la lumière le traverse et impressionne un morceau de papier photo fixé à une distance donnée et qui sert donc de plan film. Le papier étant peu sensible comparé a un négatif, le temps de pose est d'au moins une seconde, il ne faut donc pas bouger, d'où les expressions crispées. Le papier photo est négatif (les noirs apparaissent blancs et réciproquement), il faut donc le rephotographier sur papier négatif pour obtenir un positif. Il révèle et fixe le papier dans deux minuscules cuves dans sa chambre noire, surveillant le processus grâce à un minuscule trou et un papier de bonbon rouge (!!!) en guise de filtre inactinique (lumière rouge des labos, qui ne voile pas le papier sensible). Il faut le voir pour le croire (j'ai pris des photos).
Il reprend donc en photo la photo, suivant le même principe, et fait des retirages de la même manière. Le résultat : des photos au contraste et à la netteté très aléatoires, des traces de doigts, de révélateur, bref, l'opposé de nos beaux tirages, mais on est époustouflés d'obtenir en cinq minutes des photos de nous ! On y passe tous, je pose avec mon boubou, seul puis avec Sophie et enfin Ilsen avec nos deux F5, attitude très sérieuse, cela nous fera un sacré souvenir!
Fin de la journée, je repars en barque pour une heure sur le Bani, je photographie des pêcheurs en contre-jour au soleil couchant.

Aujourd’hui, après un peu de route, arrivée dans un village du pays Dogon, dont on a tant entendu parler. Le village est grand, en contrebas d'une falaise, et il y a de petites maisons à mi-hauteur. Très impressionnant et inattendu. Malheureusement les choses ont changé depuis le dernier passage de Claude, et il y avait des toubabs partout.


18/02/2008

Hier, retour a Mopti pour escale technique. Comme deux jours plus tôt je pars avec Sophie, en ce moment g du mal à rester seul.
Certains stagiaires saturent un peu par rapport aux relations touristes-enfants ou vendeurs ambulants. Il est vrai qu'on perd vite patience à force de se faire aborder tous les quinze mètres par un enfant qui répète inlassablement "Toubab, donne-moi cadeau!", soit "Hé le blanc, donne moi un cadeau". Je prends donc ça à la rigolade, les invectivant "Farafi, donne-moi cadeau" ce qui signifie " Toi le noir, donne moi cadeau". Ca marche à tous les coups. Cependant on tombe sur des enfants espiègles qui font mine de nous donner des mouchoirs... On croise aussi des enfants réellement dans le besoin et il arrive que je donne de l'argent ou de la nourriture (mais jamais en échange d'une photo). L'attitude et l'apparence des autres toubabs, des touristes français ou anglais souvent, est souvent risible voire ridicule. Ils sont d'ailleurs impossibles à décrire. J'essaierai de les prendre en photo.
J'espère que nous sommes un peu différents, entre autre grâce aux prises de conscience qui naissent de nos discussions entre nous ou avec Claude. Je marche avec Sophie, première étape: boire un café au lait dans la rue, en fait du nescafé avec 1/4 de lait concentré sucré, c'est excellent. Et de toute façon depuis le Maroc on s'est habitués à boire thé ou café très, très sucrés. On boit également des boissons sucrées à longueur de journée, jus, sirops, boissons gazeuses. Bizarrement j'ai l'impression de maigrir encore.
Près du marché je croise deux vendeurs de peaux de chèvre, depuis la Mauritanie je n'en avais plus vu, je demande le prix, dérisoire, 1250CFA, à peine plus d'1.50 euro. De plus elles sont très belles, et très souples (les chèvres d'Afrique sont plus petites). L'ambition de la création me monte à la tête, je choisis les plus belles, je sors 15 peaux du lot, prix normal 18 500, ca négocie dur, je fais mine de repartir deux fois, trois fois, étudiant fauché, on finit par tomber d'accord pour 16 000 CFA, soit 25 euros, mais avec trois peaux supplémentaires! Donc 18 peaux, que je mets dans un gros sac de riz acheté 50 m plus loin. Tout le monde est content, sauf Jérôme qui râle puisqu'il faudra planquer tout ça sur le toit de Lulu, mais on trouve un accord, en échange je mettrai ses achats dans le sac avec les peaux. Je suis ravi, à ce prix la j'aurais pu en prendre 50. Faute de place.
Reste à trouver des idées de création. Le reste de la matinée se passe normalement, beaucoup de gens me reconnaissent pour m'avoir parlé les jours précédents, le jour où j'avais mon boubou peulh tout le monde m'hélait tous les dix mètres pour me dire qu'il m'allait bien et qu'il manquait juste un turban de 3m de long...
Je complète ma panoplie de couturier maroquinier : aiguilles diverses, fils épais, lames pour couper le cuir, et surtout une quinzaine de fermetures éclair qui me permettront de faire des choses plus élaborées.
Je commence à bien connaître les prix dans la rue, et plus d'une fois je m'exclame "100F?? J ai payé 25F la dernière fois", ça marche à tous les coups et souvent ils rigolent car au moins ils ont essayé. Pour les balades en pirogue les prix varient du simple au quintuple selon le toubab et sa capacité à négocier. Souvent le fait de dire qu'on va chercher moins cher ailleurs suffit. Quant on a vraiment atteint un prix limite, on demande un cadeau pour compenser, peaux de chèvre, pantalon etc...Pour la nourriture en revanche je négocie rarement sauf quand le prix n'est pas normal.
Apres un repas en trois temps comme à mon habitude, on revient aux camions, le rdv est pour bientôt, et surtout on vient dire au revoir à Greg, qui nous avait annoncé son départ imminent. Il nous laisse donc ici à Mopti, sac à dos sur l'épaule. Je pense qu'il va bien profiter du reste du séjour au Mali, avant de reprendre directement l'avion à Bamako. On commence donc à se faire à l'idée qu'on n'est plus que 15 (entre temps, la modèle est partie aussi sans prévenir), quand coup de théâtre, Sandrine qui elle aussi a fait son sac, nous annonce son départ! Elle prévoit de retourner au Burkina voir un ami. C'est la surprise du jour, quelques larmes, on "perd" deux stagiaires et la modèle en trois jours, dans la même ville. Je lui donne quelques films vierges pour l'aider. En l'espace d une semaine, on est donc passés de 17 à 20, pour retomber à 14. L'Atelier Nomade, entre surpopulation et dépeuplement...
J'ai d'autres préoccupations, je me fais du souci pour Ilsen qui était "absent moralement".
On reprend la route, adieu Mopti, direction Tombouctou et le Niger.
Impressions bizarres, gros vide, dans les camions et lors des repas. Dans un mois déjà, nous devrions être de retour, j'en suis à 45 films.
Hier soir on a eu droit à du pâté et même du foie gras, qui ont fait la route depuis Canaules!

Ce matin je discute longuement avec Claude, et reçois également ses excuses pour un petit malentendu qu'on a eu hier soir et qui m'avait empêché de dormir. On a fait beaucoup de route, beaucoup de piste, une fois n'est pas coutume maintenant qu'on a de la place, j'investis le caisson d'Albert, et me mets à la confection d'une nouvelle sacoche pour remplacer la précédente, plus élaborée, niveau coutures et fermetures.
On s'arrête à une petite ville pour permettre à Julien et Thomas de faire dans un centre de santé le test de la goutte épaisse car on soupçonne qu'ils aient contracté le palu, ils en ont les symptômes. Heureusement les deux tests sont négatifs. Je profite de l'arrêt pour reprendre un peu le boitier après plusieurs jours de pause, je rencontre des menuisiers sympas et trouve des cadrages et des attitudes intéressantes, ouf.
L'après-midi sur la route toujours, après un sandwich aux saucisses de cœur et de foie. Comme j'ai terminé la sacoche déjà je fais pour Thomas une blague à tabac, en fait une petite sacoche simple avec deux poches, une pour mettre le tabac et l'autre pour le briquet et les feuilles à rouler. Daté et signé, libellé Atelier Nomade, la grande classe! Une fois fini, j'en commence un autre pour Sandrine, on me demande également un sac et une bourse...Cela fait travailler mon imagination et fait passer le temps sur la piste.
Ce soir on s'arrête près d'une dune, cela faisait longtemps. C'est presque la pleine lune. Avantages : on n'allume pratiquement pas les lampes de poches. Inconvénients : il faut aller de plus en plus loin pour les toilettes par rapport à une nuit noire, d'autant plus que les buissons sont inexistants.
Claude a acheté une bonne part de filet de bœuf et ce soir c'est pâtes bolognaise avec de la vraie viande hachée, grâce au hachoir pour chair à saucisses que Claude a ramené exprès de Canaules! Comme les grilles à barbecue, le vidéoprojecteur et les rideaux de douche, il nous servira peu voire qu'une fois, mais c'est en quelque sorte une tradition, quelle surprise de faire de la viande hachée dans la brousse...

Ce matin, réveil aux aurores, petit dej écourté pour pouvoir prendre des photos. Je rencontre des enfants bergers, quelques hommes, des peulhs et des touaregs. Le contact est assez facile malgré la barrière de la langue. Reprise de la piste pour 160km.
On s'arrête prendre de l’eau, 10F le bidon, soit 0,015euro le bidon de 20L, rien à voir avec la Mauritanie ou l'eau était extrêmement rare et chère. On a même pu prendre des douches en plein air, la nuit entre deux arbres et trois herbes.
Adeline veut une sacoche en cuir élaborée, pour ranger papier et films, projet ambitieux car il faut deux sections triangulaires sur les côtés et deux poches, mais j'en viens à bout en une après-midi de piste. En échange elle me fera un dessin d'Ilsen et moi, sur une peau de chèvre. Mal au cœur sur la piste, trop concentré sur les coutures, Albert se balance.

21/02/2008


Arrêt dans une petite ville, Gourma, après plusieurs heures de piste fatigantes. On est au bord du Niger mais il y a trop de vent pour les pêcheurs ces derniers jours, ils posent leurs filets la nuit. Ville à première vue peu intéressante, mais avec Sophie on rencontre deux jeunes, Abdou et Abba, qui nous proposent de nous guider " sans nous demander d'argent" (et ils tiendront leurs promesses). Ils nous emmènent chez leurs familles respectives, on partage riz et poisson à deux reprises. Leur eau du puits est toujours fraîche, ils la gardent dans de grands pots en terre cuite. Ils nous proposent de dormir chez Abba, l'idée est alléchante, cela nous couperait un peu du groupe et de nos habitudes. On va prévenir Claude, puis la gendarmerie, puis la Mairie, qui nous expliquent longuement qu'ils préfèrent qu'on dorme dans des "structures adaptées" mais qu'ils ne prennent pas de responsabilité si l'on dort chez l’habitant.
Abdou tient à me mettre son turban, et c'est donc en turban et boubou mauritanien que je passe le reste de l'après-midi. On reste donc avec eux pendant que les 12 autres stagiaires partent dormir dans la brousse. Après le thé, Sophie assiste à la préparation du repas (on a donné un peu d'argent pour acheter du riz) tandis que je me repose. Ils sont très attentionnés, parlent très bien français et nous chantent des chants africains. Abba me montre comment préparer le thé, pas facile. On est fatigués et j'ai une sale migraine (cette nuit, n'arrivant pas à dormir, je me suis levé à 5h pour développer et couper des films...) et après un repas de riz et mouton, on va se coucher, Abba nous prête sa chambre, il nous propose même son lit mais étant deux on dort sur un tapis à même le sol de sable. On y était bien, on les entendait parler dans la pièce voisine, puis pendant la nuit aucun bruit. Il n'y a pas d'électricité ni de toilettes (il faut aller chez le voisin...).Il allume pour nous une veilleuse à LED alimentée par des piles. Sophie est un peu malade pendant la nuit, en ce moment tout le monde se booste à la Smecta, ça n'a pas l'air appétissant et je suis content d'y échapper ! Ils ont des troubles intestinaux divers...Cela fait du bien de dormir ailleurs c très reposant.

Au réveil ils m'accompagnent au bord du Niger, puis au marché. On retrouve les camions et j'en profite pour récupérer une sacoche et une blague à tabac, ils sont ravis et me demandent de les signer. Je leur donne également des piles qui leur seront bien utiles je pense.


Ce seront les seules personnes rencontrées au cours du voyage à qui j'enverrai des photos. Jusqu'a maintenant j'ai toujours refusé de le faire car il faut se souvenir des noms et adresses, faire des tirages et les envoyer...pour l'avoir déjà fait auparavant je sais que ce sont des promesses difficiles à tenir.
On part dans l'après-midi, on attend le "bac pour traverser le Niger, mais on risque de s'embourber une fois sur l'autre rive, on traversera donc 100 km plus loin. Reprise de la piste, re-mal au cœur, re-bordel dans les casiers.
Il y a eu plusieurs sessions de développement récemment, et on a frôlé le drame, une pochette de 50 négatifs est tombée dans le labo et a pris l’eau, une dizaine de films ont dû être re-trempés et re-séches, c’aurait pu être pire.
Tôt ce matin, session planche contacts, d'abord Ilsen et Sabine vers 5h du matin, puis thomas et moi. J'en suis à 43 planches et suis très content du résultat.

Il semble qu'on doive quitter le Mali bientôt, assurance et visas expirant dans deux jours. Ensuite, peut-être quelques arrêts en Mauritanie, puis Maroc, puis Espagne... Aujourd'hui, 22 février, nous sommes partis depuis exactement deux mois. Il est temps de dresser un bilan.

Le Bilan : 60 jours de voyage, 5 pays traversés, 45 films.

I]Deux périodes :

1) Maroc - Mauritanie, découverte
2) Mali, la vraie Afrique, le vrai travail


II] 3 périodes dans le voyage et le groupe :
1) découvertes et déconvenues (un mois)
2) Entente, routine et communication (un mois)
3) Vers le retour, moments difficiles, retour des vieux démons, l'entraide et la solidarité s'estompent quelque peu pour faire place à une cohabitation forcée mais tolérante et cordiale. Perte de trois membres du groupe ==> plus d'espace, conséquence logique du vide.
<=> vivre en groupe tout en étant seul

III] Le bilan personnel

A) Influence du voyage sur moi :

1) plus d'indépendance et de prises de décisions (confiance en soi)

2) sentiment que l'écoute et l'aide des autres peut permettre de s'aider soi-même et/ou relativiser ses soucis

3) toujours le même besoin d'être solitaire, surtout en prises de vues, mais parallèlement et paradoxalement il devient de plus en plus plaisant de passer du temps avec certains stagiaires.

4) des liens forts se sont créés, des idées reçues se sont effacées, certains ont déçu mais beaucoup d'autres m'ont surpris

5) vers plus de tolérance et de patience par rapport à la vie en groupe

6) Vers plus d'humilité et de discrétion par rapport aux conditions de vie et à la générosité des gens rencontrés

7) on peut, l'espace d un instant, apporter du bonheur à quelqu'un, du groupe ou d'ailleurs.


B) Influence sur le travail photographique

1) Plus d'ouverture, aller de moi-même rencontrer les gens, me consacrer à eux, mais également se donner la contrainte d'un reportage en deux heures

2) Vers une compréhension des situations difficiles, contre-jours, gros contrastes, faible luminosité.
Vers une meilleure gestion de l'exposition, d'où des négatifs beaucoup plus complets, beaucoup de questionnements pour gagner du temps dans les situations similaires. Les développements peuvent être améliorés, sous-développement à N-1, selon le sujet et l'exposition.

3) Travail uniquement au 24mm, donc beaucoup de proximité et plus de profondeur de champ en général.



24/02/2008, Mauritanie


Jours de piste, fatigants, sur le retour en Mauritanie.
Hier après-midi, arrêt dans un petit village, j'achète mon dernier couteau malien à un enfant boucher, 3 euros. Je rencontre un autre boucher, je discute un peu avec lui, il me dit qu'il peut me prendre en apprenti et que non seulement c'est gratuit pour moi mais qu'en plus c'est rémunéré. Il veut absolument savoir mes origines puisque comme beaucoup, il ne croit pas que je soie français. Comme à chaque fois, je lui demande 500F pour cette information. Il rigole, négocie, puis finalement il me donne l'équivalent de 500F de peau d'hippopotame, qu'il vend très cher aux médecins traditionnels, c'est assez impressionnant, l'épaisseur de la peau peut atteindre 3 cm par endroits... je ne vois pas trop quoi en faire mais bon. C'est impossible à couper, il a taillé le morceau à la hache. Les haches sont très belles mais les couteaux m'attirent plus.
A la fin, après un café au lait, je lui avoue mes origines vietnamiennes. Les gens sont tout le temps intrigués et des enfants m'ont déjà proposé 25F pour savoir...Pour leur faire peur, je menace de couper les têtes, je sors du camion avec mon grand couteau de 50cm et ils s'enfuient comme un banc de sardines...
Hier, arrêt dans une palmeraie, très joli cadre, avant le coucher du soleil.


On a fait le plein d'eau, les douches sont montées mais il y a beaucoup de candidats, je prends donc ma douche derrière deux palmiers une fois la nuit tombée. Il y a plein d'ânes dans la palmeraie et ils braient bêtement pendant la nuit et depuis le toit je les entends mâcher. Ce matin, quelques photos au réveil, j'avais emmené le boitier sur le toit hier soir exprès. J'ai également pu enlever les peaux de chèvres du toit, et les ranger dans la soute numéro 5, car hier nous avons distribué plusieurs sacs de médicaments à un centre de santé, nous laissant pas mal de place pour nos achats. Les stagiaires ont ramené, entre autres : chapeaux traditionnels, tissus et habits en quantité, djembé, statue, bâton, toile, poterie, calebasses...et bientôt, cartouches de cigarettes à foison car elles ne sont pas chères et chacun fait son stock. D'ailleurs, Tom en a fait envoyer plusieurs paquets du Mali en France, à sa propre adresse, pour les revendre 35 euros une fois arrivé là-bas...un peu d'argent de poche pour s'acheter un nouveau boitier. Je lui garderai une cartouche dans mon casier car ils sont limités à une ou deux cartouches par personne. Je vais commencer à réfléchir aux endroits ou je peux planquer tous mes couteaux. Le pire apparemment sera le passage en douane Maroc-Espagne. On pense déjà aux fouilles de casiers et des soutes, quelle horreur.
On appréhende la fin du Maroc et de l'Espagne, il faudra tous dormir dans les camions comme au départ, certes il y a trois personnes en moins mais après ces semaines passées dans d'immenses espaces à regarder les étoiles, le contraste va être difficile!
Peu a peu, durant les longues heures passées en cabine (après ce voyage à rouler des journées entières sur piste, quelquefois secoués de partout, je pense que les trajets en train seront de la rigolade), on rêve de saucissons, de pizzas, de vrai chocolat...je vais bientôt faire ma liste de courses pour notre arrivée a Canaules. Depuis récemment j'ai ressorti mon petit bocal de pâte piment -combava - gingembre mangue, que j'ai ramenée de la Réunion. C'est bien appréciable, d'autant plus qu'en Mauritanie nos repas vont être de moins en moins variés, et que les épices achetées au Maroc sont épuisées depuis belle lurette. Un peu de piment ne fait pas de mal pour aseptiser ce que l'on mange.
Ce matin, dernier arrêt dans un village malien, je dépense mes derniers francs, j'achète des bandelettes de chambre à air, bien pratiques pour attacher divers objets (carnet de bord débordant et aux pages déchirées, notamment).
Je passe la journée dans le caisson d'Albert, bien mouvementée ; les livres de la bibliothèque ont fait plusieurs vols planés, assommant à moitié Séverine, et quatre d'entre eux se sont enfuis par la fenêtre.


Heureusement, Jérôme veille derrière avec Lulu, et plus d'une fois il s'est arrêté, ramassant diverses choses tombées d'Albert : chaussures, lunettes de soleil, livres mais également tentes tombées du toit.

Aujourd'hui, on a passé la douane Mali-Mauritanie, un peu long mais cette fois ils n'ont pas fouillé les camions, ils se sont contentés de nos passeports et nos certificats fièvre jaune.
Au revoir le Mali donc, peut-être à l'année prochaine ! Qui sait?

26/02/2008, Nouakchott


Apres deux jours de piste épuisants, arrivée à Nema.
Avant-hier, le pneu avant droit de Lulu a rendu l'âme, le temps qu'Albert se rende compte que Lulu ne suivait plus (15mn?...), le temps de revenir (15mn), la Lulu Team composée de Jérôme et de 4 filles (j'étais chez Albert) a déjà changé la roue...chapeau, dix minutes de moins que la dernière fois alors qu'on était 17! En revanche, les hommes Mauritaniens qui étaient là n'ont pas levé le pouce.
Retour en Mauritanie donc, avec chaleur, sable bientôt (hier j'ai fait tomber mon unique morceau de tomme de vache d'Espagne dans le sable, g t vert), gens moins aimables sinon hostiles (sauf les Sénégalais), prix excessifs...Nous ne sommes pas vraiment ravis de revenir ici mais de toute façon c'est un passage obligé pour revenir au Maroc. A l'aller, c'était un peu la découverte et surtout il y avait pas mal d'arrêts dans des paysages sublimes. Mais les gens rencontrés sont trop fiers, trop hautains souvent, et n'ont pas d'estime pour les Sénégalais qui viennent y travailler.
De toute façon on ne fait que passer ; après Nema, on reprendra la route de l'Espoir, repassant par Kiffa, Aleg...puis Nouakchott et enfin Nouadhibou pour quitter le pays.
La Mauritanie, c'est également l'invasion des kram-kram, le fléau de Dieu et des Nomades, de petites épines a 4 pointes, vicieuses comme tout, qui se plantent dans tout ce qui est vivant (pieds, mains...) ou textile (tentes, matelas, pantalons, ou pire, sacs de couchage). Honnêtement c'est la pire invention de la nature mauritanienne, pire que les scorpions, pire que le sable. Ce midi on s'est dispatchés dans Nema, restaurant ou pain - vache qui rit pour la plupart, mais les restaurants sont trop chers pour ce qu'il me reste d'argent (500 ouguiya pour un plat de riz et sauce arachide). Et surtout, on est ensemble 24h/24h, on partage 3 repas sur 4 alors je ne comprends pas pourquoi ces gens ont besoin de s'entasser tous dans le même restaurant, à attendre une heure avant d'être servis, et à un prix prohibitif. Comme le parfum dans le désert, ce genre de besoins me dépasse.

Je cherche un peu et en fait il y a plein de tentes où il y a à manger, à 30m des camions, pour 300 ouguiya j'ai un plat de riz pour au moins trois personnes avec de la viande. Comme quoi... Je mange donc sous la tente avec des Sénégalais et des Mauritaniens qui me regardent d'un mauvais œil. Des hommes jouent au jeu de dames, sur un tapis de sable quadrillé, l'un avec des cailloux et l'autre avec des douilles de fusil d'assaut. Malheureusement je n'ai pas mon boitier, n'ayant pas pu le récupérer à temps dans le camion. Je rate la photo de la semaine, tant pis...
Sophie a fait une crise de spasmophilie ou d'angoisse, pas très bien compris, cela fait quelques temps qu'elle n'est pas bien, comme beaucoup d'autres.
Le fait de boire tous les 14 dans des bouteilles d'eau communes et de laver toute la vaisselle avec deux litres d'eau ne doit pas faciliter les choses pour les estomacs fragiles. Au rayon des remèdes, fleurs de Bach, Smecta, spasfon, ultra-levures, charbon, dolipranes, homéopathie...on a deux ou trois infirmières attitrées dans le groupe.
J'ai eu deux ou trois rhumes et surtout de la toux au Mali avec la poussière, aggravée par les gens qui fument à côté de moi (sujet de discorde). Alban a même de l'opiacée, qui a été utilisée pour les fortes douleurs (avec modération...on la compare à de la morphine, sur ordonnance uniquement).
Sinon, le lot quotidien d'éraflures, surtout pour ceux roulant sur le toit ou bien trop près des vitres ouvertes lorsqu'on frôle les acacias.
Rien de grave donc, mais quand deux des stagiaires se sont enfoncés jusqu'aux mollets dans la sortie d'égouts-dépotoir-toilettes de Mopti, on n'était pas très rassurés tout de même, vu l'insalubrité du lieu et les blessures aux pieds, fréquentes.
Depuis la fin du Maroc, on porte presqu'uniquement des sandales, d'où des pieds toujours sales et souvent abîmés. Le pire est donc la crasse, mélange de poussière et de sueur (en roulant sur piste au soleil, c'est très simple : toute partie du corps qui est en contact avec n'importe quel objet, dossier, accoudoir, barre métallique, bras du voisin, vitre, s'y colle avec la sueur), et qui nous fait croire à un joli bronzage...même sous le t-shirt ! Mais j'arrive à me débarrasser d'une partie avec un gobelet d'eau ou un fond de seau chaque jour. Cela dit lorsqu'on est en pénurie d'eau (comme hier, un bidon et demi pour 14 personnes, incluant préparation du repas, eau chaude pour le petit dej et lavage de dents) et qu'on peut à peine se laver les mains et le visage avant d'aller dormir, c'est dur. Honnêtement je ne suis pas sur qu'on aura la possibilité de faire une lessive avant Canaules, et il faut économiser les habits pas trop sales (c.à.d. portés deux ou trois jours) qu'il nous reste.
Le change de l'argent est problématique, il me reste 60 euros incluant le visa à payer bientôt (a moins qu'on passe outre, ce ne serait pas la première fois), et si je dois retirer de l'argent au Maroc comme plusieurs l'ont fait, les commissions sont très élevées. A l'aller, certains ont dû demander des virements via Western Union car ils ne pouvaient pas retirer avec leurs MasterCard (les Visas marchent mieux). Moi j'avais anticipé et emmené beaucoup d'euros en liquide. En principe, je devrais avoir tout juste assez jusqu'à l'Espagne, en comptant ce que je dois et ce que l'on me doit.


Sur la route de l'Espoir, on passe poste de police sur poste de police, donnant à chaque fois une copie de la liste de tous nos passeports (certains font du zèle et tiennent à vérifier chaque passeport, allant même jusqu'à les recopier à la main). Les postes ne se ressemblent pas tous, cela va de la petite baraque en dur à la tente, en passant par les deux douaniers allongés sous un arbre. En revanche, les policiers mauritaniens, fourbes par nature, demandent systématiquement des cadeaux, bières (interdites), cigarettes, stylos...Claude leur a déjà donné des comprimés laxatifs pour...les migraines ! (ils ont du bien rigoler cette année-la).
Avant le dernier arrêt au Mali, on a trouvé des fromages touaregs, c'est très rare apparemment et même s'ils ne contiennent pas ou peu de sel, je les ai trouvés excellents. Ils sont faits à partir de lait de chèvre et se vendent sous forme de plaques rectangulaires de moins d'un centimètre d'épaisseur, très sèches et déconseillées pour les mâchoires fragiles. Ce sera, en ce qui me concerne, un très bon souvenir culinaire du Mali. On retiendra également la viande grillée à la sortie de la douane du Burkina (exceptionnelle), les poissons frits de Mopti au Mali, la soupe de poulet à Bobo, les crêpes d'Imilchil au petit dej et surtout le 1/4 de poulet rôti a Aghbala, Maroc (côté gauche de la rue principale dans le sens descendant, en face ils étaient moins bons)...Sinon, j'ai goûté tout ce que j'ai vu, souvent d'agréables surprises, sauf le lait caillé à Mopti, décidément trop acide (mais au moins, contrairement à d'autres, je quitterai l'Afrique moins bête).
C'en est donc fini avec la piste ; jusqu'en France, on roulera maintenant presqu'uniquement sur route, sauf exception. A l'heure actuelle, vu comment on a souffert récemment, je ne peux pas dire que rouler sur piste, voire hors-piste, va nous manquer. L'avenir nous le dira ! En revanche, rouler en voiture à Canaules à notre retour sera difficile, selon Jérôme : on aura l'impression de rouler à 150km/h sur route, à 30 cm du sol...Egalement, plus de bruit du moteur, de vaisselle qui s'entrechoque, plus d'affaires qui volent...Beaucoup d'autres choses auront changé entre notre départ de Canaules et notre retour. Des notions ou des perceptions ont changé : ou comment relativiser et voir la vie autrement, tout comme une approche photographique différente.
Tous les jours, même rituel : lever vers 6h45, souvent ceux dormant sur les nattes ou sur les toits en premier, puis ceux des tentes (mais cela dépend des jours et des humeurs, et de la quantité d'alcool ingérée la veille) : Claude fait chauffer l'eau puis on descend sur la natte le casier petit déjeuner : il comporte des constantes (Nescafé, pain, lait en poudre, thé, chocolat en poudre, confiture, muesli bio et compote en boîte) et des variables (restes de la veille, miel, piment, faux Nutella, vache qui rit) selon les stocks.
Ensuite après notre boisson chaude (ma recette favorite : 3 cuillers de chocolat, 3 de lait en poudre, 2 de sucre, 2 de nescafé, compléter avec de l'eau tout de même), chacun rince son bol et sa cuillère tant bien que mal (plus souvent mal que bien), puis brossage de dents, débarbouillage et maquillage...
On range matelas et sacs de couchage en soute, puis enfin les nattes roulées et les tentes pliées sont attachées sur le toit.
Le démarreur des camions sonne le rassemblement pour le départ, sauf quand on est sur sable et qu'il faut chauffer les moteurs à 80° pour repartir. Sur piste, on s'arrête toutes les 1h30, voire 2h. Souvent, une pause café et thé vers 10h-11h, utile pour se recharger en sucres.
A midi, soit arrêt dans une petite ville ou village et tous les fauves affamés (dont moi) sont lâchés pour quérir leur pitance, soit on s'arrête au milieu de nulle part. On mange alors les restes de la veille, ou bien on fait un taboulé si on s'arrête suffisamment longtemps. Mais en règle générale, c'est sandwiches vache qui rit, sardines en boite, sel et poivre. Il nous est déjà arrivé également de manger en roulant (on s'y fait...) Tout comme certains arrivent à lire, écrire ou même dessiner en roulant. Personnellement je n'ai aucune de ces capacités, toute autre action que de dormir ou de me livrer à mes réflexions me donne mal au cœur sur piste. En ce moment mes réflexions portent sur les sujets suivants : que faire à mon retour, quel nom de domaine choisir pour mon futur site internet pour y diffuser mes photos, quel style de carte de visite...je profite de l'expérience de Clémence dans ce domaine. Après le repas de midi, reprise de la route, si on s'est arrêtés dans une ville on fait le plein de gasoil (très souvent en fait, vu les distances parcourues, jusqu'a 8h de route par jour a 60 km/h).
L'après-midi, pause éventuellement pour un thé, voire une mini sieste pour les chauffeurs. En fin d'après-midi ou début de soirée, choix d'un spot pour passer la nuit, on quitte la piste ou la route sur 100 ou 500m, à la recherche d'un endroit plat avec des buissons ou des arbres. Le bruit de la vidange d'air du frein à main d'Albert annonce l'arrêt final, on descend souvent exténués les marchepieds et les échelles des camions. Première étape, descendre nattes et tentes, clopes au bec. Souvent on attend 5mn avant d'éteindre les moteurs, pour leur laisser le temps de refroidir. Ensuite, on sort tous les sacs de couchage et les matelas, sauf certains qui sont expédiés directement sur les toits. Pour accéder au toit de Lulu on peut escalader sur les côtés mais cela ne vaut pas l'échelle, qu'il faut donc détacher de dessous le ventre d'Albert.
Pour m'installer sur le toit, deux choses à prendre en compte : certes l'inclinaison de Lulu est un facteur important, mais la direction du vent est en revanche déterminante : mieux vaut dormir les pieds en haut et la tête en bas plutôt que dans le bon sens mais avec le vent qui entre dans le sac de couchage. Pour le placement des tentes, on a remarqué que les tendances se sont inversées: au début, on avait tendance à faire des mini villages vacances, groupant les tentes (besoin de proximité que je n'ai jamais compris, quelque fois je devais redéplacer ma tente puisque les autres venaient s'agglutiner comme des bigorneaux), tandis que plus on a avancé dans le voyage et plus on éloigne les tentes les unes des autres, quelquefois jusqu'a 100m des camions (besoin d'éloignement enfin?). Il est maintenant très rare que je dorme en tente, deux fois seulement en trois semaines au Mali.
Au niveau organisation, vie pratique et gestion des soutes et des casiers : en plus des 17 casiers personnels (fermés au cadenas, d'ailleurs les malheureux qui oublient de les fermer retrouvent le contenu éparpillé par terre après la piste, le genre d'erreur qui n'arrive qu'une fois), on a des soutes communes : une pour les blousons et pulls d'hiver, deux pour les réserves, une pour les médicaments (deux trousses de secours) et deux pour les achats divers. Niveau espaces de rangement, le pire était pendant la première semaine de voyage car on avait une photocopieuse dans le camion pour Ali au Maroc, qui prenait énormément de place. (On a tous eu plus d'une fois la tentation de s'asseoir dessus). Claude avait également amené une pompe à eau pour le village de Jérôme Dena à Sokoura.



27/02/2008


Aujourd'hui, arrêts dans des petites villes que nous avons croisées à l'aller il y a quatre semaines : Aioun, Tintane, et maintenant Kiffa. Cela fait bizarre de retrouver des endroits que nous avons déjà vus, de reconnaître des gens également.
La route de l'Espoir nous apparaît agréable après plusieurs semaines de piste. Par contre trois lecteurs CD ont déjà lâché (pas étonnant, vu la poussière et les vibrations)...pour l'instant donc il ne reste qu'un lecteur CD en état de fonctionner pour le caisson + la cabine d'Albert (on a raccordé à l'avant un haut-parleur pour entendre la musique à l'arrière...nouvelle source de conflits pour les choix des cds et du volume inégal). De toute façon, Claude nous avait prévenus que les lecteurs CD ne tenaient jamais plus d'un voyage, tout comme les CDS d'ailleurs, qui sont passablement rayés. Aujourd'hui on a pris un mini éclat sur le pare brise ; sur la piste c'est plus problématique et comme il y a beaucoup de projections de graviers quand on croise ou quand on se fait doubler, il faut appuyer la paume sur le pare-brise (verre non feuilleté) pour éviter qu'il n'éclate. C'est d'ailleurs assez comique, dès qu'on aperçoit un camion au loin on se jette tous les trois sur la vitre, d'ou de multiples traces de crasse et de gras sur le pare-brise...



28/02/2008


Hier, dormi à moins de 200m de la route de l'Espoir (il y avait des clôtures partout donc on ne pouvait aller plus loin). Comme à chaque fois qu'on dort près de la route, discrétion de rigueur, éclairage minimum, lampes frontales prohibées.
Toutefois après le repas on aperçoit ou on croit apercevoir une voiture roulant tous feux éteints dans notre direction. On éteint toutes les veilleuses des camions, c'est un peu inhabituel et glauque comme ambiance.
Je me couche sur le toit un peu inquiet tout de même, surtout par rapport aux derniers évènements en Mauritanie. Je me réveille plusieurs fois dans la nuit, je crois même avoir rêvé que j'entendais une voiture s'approcher. Au réveil, à 6h15 (levés plus tôt que d'habitude pour partir un peu plus tôt), je me rends compte que Claude, Jérôme et Alban ont dormi sur une natte juste au pied du camion, avec gourdin et battes de baseball à leurs côtés.
Roulé toute la journée, route droite comme la ligne d'horizon, j'essaye de prendre en photo les cadavres de vaches sur le bas côté mais en roulant ce n'est pas facile de bien cadrer, surtout avec un compact numérique. Ce matin on a cru que le moteur surchauffait, 90°C au lieu de 80°C, on a du allumer le chauffage à fond pour aider à le refroidir...horreur, le chauffage dans le désert. Après arrêt, nettoyage du radiateur à l'eau savonneuse, c'est finalement la sonde de température qui déraille. Ouf, soulagement, on peut éteindre le chauffage, on changera la sonde plus tard (il faudra également réparer la roue crevée).
On passe des villes connues, Aleg, Boutilimit, et d'autres. On est un peu agacés par la façon dont les gens nous regardent, surtout les "blancs mauritaniens". De plus, ils essaient systématiquement de nous faire payer plus cher, ou bien prétendent ne plus avoir de monnaie...on commence à avoir l'habitude, il suffit de ne plus demander le prix et de préparer la monnaie...mais certains sont réellement de mauvaise foi. Idem pour les cybers, il faut bien choisir pour ne pas payer du vent : j'ai mes bons plans dans les villes où on est déjà passés, comme ici a Nouakchott.
Cet après-midi, Jérôme s'est arrêté brusquement, dans un hurlement de pneus arrières; sur le coup j'ai cru qu'une chèvre avait traversé devant nos roues, mais Jérôme fait marche arrière, énervé, il nous explique qu'un gamin au bord de la route a fait mine de lancer une pierre sur le camion. Frein à main, feux de détresse, et il sort déjà avec son gourdin, accompagné d'Ilsen, mais évidemment les enfants ont tous fui. En tout cas, Jérôme, pourtant discret par nature, ne se laisse pas faire dans de telles situations! C'est le prochain toubab qui nous remerciera.
Ce soir, on est enfin arrivés à Nouakchott, épuisés. J'ai pris pour Jérôme plusieurs photos des camions surchargés qu'on croise. On a même vu un dromadaire a l'arrière d'un pickup...on croise des camions Mercedes énormes, chargés de centaines de sacs de riz, de poutres ou de gens.
Quand ils roulent à vive allure, pas étonnant que les ânes et les vaches, qui restent souvent stupidement sur la route, ne fassent pas le poids car impossible de s'arrêter à temps...
Ce carnet devient de plus en plus décousu et désorganisé car souvent je reviens en arrière sur des faits que j'ai oublié de relater.


Il y a des choses qui m'ont marqué dans ce voyage : on retiendra les petites filles pieds nus à Boutserfine par -5°C (nous en blousons, polaires, chaussures et bonnets), qui cassaient la glace pour récupérer de l'eau, une petite fille tirant un bidon d'eau aussi lourd qu'elle, les personnes dans le besoin d'une manière générale, mais surtout, le pire pour moi était de voir ces enfants fouiller les poubelles que l'on venait de jeter, afin de récupérer des choses qui pourraient leur être utiles, bouteilles vides, sacs plastiques, vieux vêtements...la première fois, j'étais vraiment choqué. On se console en se disant que ce n'est pas de la nourriture qu'ils cherchent... Enfin, c'est toujours dur.
La façon dont les animaux sont traités nous avait également choqués à notre arrivée au Maroc puis en Mauritanie. Mais il faut relativiser. Par exemple, chameaux et ânes ont les pattes avant liées, ce qui les empêche de marcher normalement et de s'enfuir. Mais pourtant ils sont quand même "libres" dans la mesure où ils sont dans la nature et sans clôtures...donc, nos premiers à-priori étaient peut être infondés.
Cet arrêt à Nouakchott sera peut-être l'occasion de faire nos dernières courses en Mauritanie. Pour nos courses communes, c'est-à-dire essentiellement pour les repas du soir, les sandwiches du midi, et l'eau, on a une cagnotte où l'on met chacun l'équivalent de 20 euros, toutes les deux ou trois semaines selon les besoins et le coût de la vie dans le pays ou l'on est. Au Mali par exemple on n'a pratiquement rien dépensé.



29/02/2008


On va passer la matinée à Nouakchott. Ilsen et Sabine sont restés dormir à l'hôtel cette nuit. On a campé près de la plage à la sortie de la ville, comme à l'aller.
On a eu des nouvelles de Sandrine, qui monte un projet photo au Burkina Faso et qui va y rester quelques temps. Hier dans la rue j'ai revu Ibrahim Pape Camara, le Sénégalais que j'avais rencontré au même endroit il y a un mois. Il a toujours la photo que je lui avais donnée!
Aujourd'hui, après une semaine à porter le même t-shirt et le même pantalon, j'ai enfin pu mettre mon dernier jeu d'habits propres, car on pourra faire un minimum de lessive lors de notre arrêt au fort de Nouadhibou après-demain (avec 15L d'eau par personne, ça va être tendu). C'est la fête, je suis propre pour une journée !


29/02/2008

A Nouakchott, après arrêt cyber, je vais voir les petites boutiques d'artisanat, où ils vendent plein d'objets en bois ou en cuir souvent à des prix élevés. Tous les vendeurs essayent de m'attirer, souvent même ils m'enferment dans leur boutique minuscule afin que je n'aille pas voir ailleurs! Je finis par en trouver un marrant, on rigole bien (les Mauritaniens ont un humour assez spécial mais avec lui je le sentais bien). Je ne veux rien lui acheter, il me reste 4200 ouguiya en tout et pour tout. Finalement je trouve deux perles rares: une bague en argent et un bracelet, apparemment très vieux. Le tout pour 8000, mais il ne veut rien lâcher, on discute au moins une demi-heure, je compte mon argent devant lui pour lui montrer que je n'ai réellement pas plus, je pars, je reviens...finalement j'arrive à avoir les deux pour 4000 ("je veux garder 200 pour manger!"), avec une pique en nickel et ébène comme cadeau. On roule toute l'après midi. On devrait être à Nouadhibou demain, au Maroc dans deux jours et en France dans 12 jours.



01/03/2008


Arrivée à Nouadhibou après 500km de route. On est là pour toute l'après-midi, je n'ai pas pris de boitier, l'attente va être longue. Ce soir on dormira au fort près de la plage et des épaves de bateaux, comme à l'aller, et on devrait y rester une journée.



2/03/2008, fort de Nouadhibou.


Finalement hier avec Sophie j'ai rencontré un bijoutier sympa, il nous invite à prendre le thé. Il me nettoie mon bracelet ancien au chalumeau et à l'acide et dit qu'il doit être assez vieux, 30 ou 40 ans. Au début il demande 500 ouguiya mais comme je fais déjà mine de partir il ne me fera finalement pas payer. Il a une minuscule boutique mais il a tout le petit matériel nécessaire pour fabriquer de petits bijoux en argent. Je lui achète une petite bague toute simple, 1500, 1000 ouguiya (prix d'ami) mais je lui vide mon porte monnaie dans la main et il voit bien qu'il ne me reste que 700 et finit par accepter. Il me grave en arabe "Yacoub Vinh Nouadhibou 2008" avec un poinçon. Sophie achète également des bijoux qu'elle fait graver. En tout cas on passe un moment très sympathique et convivial, je n'ai pas de boitier mais ce n'est pas grave car je garderai de très bons souvenirs de cet après-midi. Le soir on dort au fort, à la belle étoile, Alban dort à l'embrasure de la maison sans toit où nous avons dormi il y a un mois. On a repris les développements récemment, j'ai pu faire mes deux derniers films. Après discussion avec Claude et plusieurs personnes, on a décidé de faire en sorte de passer une très bonne fin de voyage, en s'aidant les uns les autres et en essayant de relativiser les petits conflits. Un très bon point.
Ce matin, lessive, la 4è du voyage, 2 seaux de 10L, j'ai l'impression que l'eau de rinçage était encore plus noire que l'eau de lavage...


je doute que cela soit propre mais au moins la lessive sent bon. Julien m'a pris en photo avec toutes mes tenues traditionnelles, avec au fond les épaves de bateaux. Le cadre est propice pour des étudiants photo, bâtiments en ruine, rouille partout, tunnels et j'en passe.
J'écris allongé sur le sable, cela fait du bien de se poser quelques heures après cette semaine de route non-stop.
Aujourd'hui, anniversaire de Sophie, 24 ans.
J'ai pu enfin montrer mes 19 dernières planches à Claude (eh oui, 19 d'un coup...), apparemment il est très satisfait, parle d'humanité et d'émotion, et surtout du travail fourni ; il m'a dit également que depuis le début des stages d'atelier nomade, c'est la première fois qu'il y a des images de Mopti.



3/03/2008, Maroc


Hier à 18h, on a passé les multiples postes de police, de gendarmerie et de douane à la frontière. Fouille des camions, deux casiers sont ouverts au hasard.
Enfin nous sommes au Maroc. Le soir on s'arrête au même endroit qu'il y a un mois, une station essence avec un restaurant, pour fêter l'anniversaire de Sophie (qui traverse donc deux pays le jour de son anniversaire!) on mange tous en commun, omelette berbère, trois œufs et viande de dromadaire. On a offert à Sophie un dessin d'Adeline signé par tous, et une tablette de chocolat 1848, ultime luxe!
Ce matin ai pu prendre une douche dans les toilettes du restaurant, avec un seau et ô bonheur de l'eau courante (au robinet).
Depuis Nouadhibou je ne sais pas si c'est à cause de l'air mais on est tout collants, très désagréable surtout dans le sac de couchage...l'horreur.
Depuis notre arrivée au Maroc j'ai l'impression que la bonne humeur est revenue à l'atelier nomade. Ce midi on s'est arrêtés près d'une épave de bateau, cette fois elle est à sec et marée basse donc on peut y accéder à pied et monter dedans. Les matières sont très belles (bois et métal rouillé) et les adeptes de la surimpression (superposer des images, i.e. un visage sur un fond de rouille) s'en donnent à cœur joie. En revanche, à 6 ou 8 photographes autour d'une épave, difficile de ne pas se gêner. Certains s'énervent, je me marre, je n'ai même pas sorti le boitier (moi, il me faut des gens sur les photos).

Je suis dans ce qui semble être les cales du bateau, bien à l'ombre et bien au frais.
Pour mon retour à Canaules quelques soucis d'organisation vont se poser: à notre arrivée, on a dix jours de libre pour voir nos familles, et pour laisser à Claude l'occasion de se reposer. Mais comme je prends l'avion le 2 avril pour la Réunion, je risque de prendre du retard, surtout que j'aimerais tirer une sélection de 200 ou 300 photos avant mon retour. L'idéal serait que Clémence réinstalle son labo, à Montpellier, et qu'elle me laisse les clés de son appart quand elle reviendra à Canaules. Je pense qu'en deux jours et deux nuits cela devrait être réglé et que je pourrai partir à la Reunion l'esprit tranquille. (NB: finalement, je réussirai à faire 275 tirages de lecture 13x18cm en deux jours, au labo du club photo de l'INRA à Toulouse)
Cet après-midi on ira peut-être au petit village de pêcheurs de poulpes ; mais cela m'étonnerait que j'y reprenne des photos. Je pense m'arrêter sur les bons souvenirs du Mali, et d'ailleurs cela fait une semaine que je n'ai pas changé de film (la dernière fois que ça m'est arrivé, c'était il y a six mois). Je suis satisfait des images prises au Mali, et maintenant pour nos dix derniers jours de voyage je vais profiter des rencontres et déambulations, sans regrets!



4/03/2008


Près de Dakhla. Finalement hier après-midi, après l'épave on s'est arrêtés au village de pêcheurs mais la saison est finie, la plupart des tentes ont disparu et les pêcheurs font leur paquetage. Dans le petit restaurant du village deux hommes qui ne comprennent pas le français m'invitent à partager leur repas, ça tombe a pic puisque je n'ai pas mangé à midi. J'avais oublié l'hospitalité des Marocains, surtout dans les petits villages. Claude s'arrête à un autre endroit, lieu dit Porto Rico ! Ancien village de pêcheur, il n'y a plus rien, à part des morceaux de filets et des hameçons rouillés. Tout le monde part à la recherche de roses des sables, il y en a en quantité. On trouve également des cristaux ressemblant fortement à du verre.
Plus près de la mer, on trouve également de minuscules fossiles non identifiés, de la craie à l'état brut, et...Julie me montre sa trouvaille, ce sont des petites dents de requins qui semblent vraiment très anciennes, marron ou grises, ressemblent à des dents fossiles.
Du coup mes tendances de paléontologue reprennent le dessus, je cherche sur le sol, et en deux heures j'en ramasse au moins 200, la plupart très petites mais quelques grandes et une énorme, peut être 4.5cm de hauteur! Je n'arrive pas à l'identifier, elle ressemble vaguement à celle d'un requin blanc. En revanche, parmi celles que j'ai trouvées il y a des requins tigres et des requins makos je pense. Eh oui, des souvenirs de mes lectures d'enfance !
En tout cas c'était une belle surprise, elles sont très belles. Peut être que quelqu'un me dira leur ancienneté. Elles étaient toutes situées sur un promontoire qui surplombait la plage à 10 ou 15m de hauteur. Comme il y a des requins dans le coin (et celui dont j'ai trouvé la grande dent devait faire plusieurs mètres), je ne sais pas si ce sont les vestiges de l'époque des pêcheurs ou si c'est plus ancien (vu les petits fossiles divers trouvés au même endroit). Mystère. C'est déjà l'heure de retourner aux camions, il faut une fin à tout. Je distribue quelques dents. Si on était restés, j'en aurais ramassé un seau entier !
Le soir on s'arrête un peu par hasard dans une petite "vallée" pleine de végétation, loin de la route, dans les plateaux arides: on s'aperçoit que c'est aménagé, il y a un abreuvoir.
En faisant le tour on constate que c'est une source d'eau chaude, très chaude même, 30 ou 35 degrés surement ! Le débit est très fort, on remplit un seau de dix litres en deux ou trois secondes avec un gros tuyau, il n'y a aucun système de pompe, c'est une source qui coule naturellement. Quelle chance de pouvoir dormir ici, j'en profite pour prendre une douche malgré le vent, quel bonheur de pouvoir se verser des seaux d'eau chaude à volonté ! Deux douches dans la même journée, encore mieux qu'à Canaules !
Il fait nuit mais Thomas a "quelque chose qui pourrait m'intéresser", je le suis, on se perd un peu à côté des marais mais il finit par retrouver l'endroit, un squelette de dromadaire presque complet, manque la mâchoire supérieure. Je ramasse un fémur (enfin je crois, l'os de la cuisse en tout cas, mes connaissances en la matière laissant à désirer), court (vu la forme des pattes de dromadaires) mais énorme, mieux qu'une massue !


Je ramasse également des incisives, brillantes et polies, à quand une dent de dromadaire autour du cou ?
J'ai réussi à ranger le fémur dans mon casier, emballé dans un pantalon. C'est les douaniers qui vont faire la tête s'ils le fouillent !



5/03/2008


Arrêt hier sur le secteur des plaques, puis à Boujdour, je suis revenu dans un petit restaurant où j'avais mangé du poisson frit la fois d'avant. Premier thé marocain depuis un mois et demi.
Hier, difficile de passer le temps aux plaques en attendant le soir, chaleur torride. Je finis par trouver un coin d'ombre : sous le camion!


Pour passer le temps je fabrique un pendentif pour Sophie, en matériau original et rare : un morceau de tibia de dromadaire, que j'ai brisé en morceaux avant de quitter la source. J'ai donc pris un petit morceau épais d'un centimètre, que j'ai travaillé à la lime à métaux pour lui donner forme, rainures et brillance. C'est très beau, deux ou trois heures de travail, il ne restera plus qu'à le percer au retour en France.
Sur la route j'ai également fait un pendentif avec une des incisives de dromadaire, 5cm de long, ligaturé avec du cuir. Me voila donc avec une dent de "chameau" autour du cou (les gens les appellent toujours des chameaux)!! Mal au cœur, trop concentré en roulant, exceptionnellement je prends un médicament pour le mal de cœur, c'est le deuxième seulement depuis le début du voyage ! (le premier était pour une migraine)

6/03/2008

Sur la route entre Boujdour et Tan-Tan. Hier soir, arrêt à Layoune, ville que nous avions traversée à l'aller mais c'était un dimanche, entièrement morte, rien à voir avec hier, effervescence, des gens partout, une vraie ville moderne avec des restaurants partout et autres magasins...Je partage une pizza végétarienne avec Sophie, ainsi qu'un jus frais avocat-orange, excellent. Juste avant l'arrêt à Layoune, on s'est arrêtés à un "centre commercial", horreur, on était perdus, parmi tous ces articles colorés. Chacun achète de quoi compenser sa frustration et ses envies (?) : kinder, smarties, schtroumpfs, chocolat, et pour ma part, tranches de gouda.
En sortant de Layoune, ravitaillement à la station essence, plein des deux camions et bidons d'eau ; on remplit également les huit jerrycans de gasoil mais les clés des cadenas ont été perdues et c'est à la scie à métaux qu'on peut dégager les jerrycans de leurs chaînes. A la station, pour la première fois, on prend des gens en stop, un couple et un bébé, on les amène à leur village à 45km, sur notre route; arrivés là-bas ils nous proposent de venir prendre le thé, on est 14 mais on accepte et on s'entasse dans une petite pièce; je me mets vite à transpirer sous ma djellaba (parfaitement adaptée pour le soir au campement et pour dormir, cela dit, tout comme le boubou au Mali) et moi qui n'aime ni la proximité ni l'exigüité, je suis servi.
On boit donc les trois thés obligatoires, après avoir partagé un plat de dattes et un grand bol de lait de vache, ce qui fait également partie de la tradition. Etrangement, on nous asperge d'eau de toilette; on sent tellement mauvais? Tradition encore? L'homme de la maison offre à Ilsen son boubou mauritanien, comble de l'ironie, lui qui déteste la Mauritanie, ses habitants et ses boubous! Tout le monde rigole. Les femmes habillent également toutes les filles stagiaires avec leurs melefas, qu'elles rendront en partant.
On quitte leur village à 22h30, après avoir refusé poliment de rester partager le repas. On est fatigués, pas de cuisine ce soir au campement donc, on mangera plus tard les merguez achetées à la ville. Arrêt pour la nuit, on se croirait dans la tempête, beaucoup de vent et assez froid, du coup on peut dormir dans les camions comme il y a deux mois, je dors seul sur la banquette arrière de la cabine de Lulu pour la première fois ; depuis quelques jours j'avais repris l'habitude de dormir en tente, beaucoup de vent depuis l'arrivée au Maroc. Je me réveille transpirant, collé à mon sac de couchage, l'horreur. Au réveil tout est humide et moite, pages de carnet, habits, sacs, matelas....un prétexte pour mettre des vêtements propres et secs. Le pire c'est les sacs de couchage trempés, à aérer avant de les
ranger...quand on a le temps.
Arrêt a Tan-Tan, on n'a qu'une heure trente, j'esquive le troupeau de stagiaires pour me trouver un endroit où manger, je fais vingt mètres et repère un plat à tajine vide sur un trottoir, signe de reconnaissance pour les affamés, je suis sauvé, petite pièce avec quatre tables, on me souhaite la bienvenue, un homme m'accueille à sa table, on me sert tajine de poulet, salade variée, frites, piment, pain, pour un cout moins élevé que dans les restaurants, 1.20euro. Comme je ne mange pas tout le pain je lui demande de faire un sandwich avec la salade et des haricots en sauce (bien appréciable deux heures plus tard, sur la route; Lulu étant le camion du partage par définition, on achète souvent des choses à partager : boissons, fruits secs, œufs durs, gâteaux, sandwichs, viande grillée, poisson...). Apres ce bon repas je marche encore vingt mètres et passe devant un coiffeur affalé devant la télé sur son canapé, j'ose. Il parle mieux anglais que français, mais mon anglais a quelque peu moisi ! Point important : surtout bien s'assurer qu'il ne va pas me couper mes tresses ! Il commence par me tondre, puis il me lave la tête et là c'est la descente aux enfers pour lui, il n'a jamais vu ça, il ne comprend pas pourquoi autant de peaux mortes et de crasse, poussière et sable??? J'ai beau lui expliquer avec diplomatie et insistance qu'on voyage depuis deux mois et demi sans shampoing, douche tous les 10 jours, il tombe des nues et me propose même de m'emmener prendre une douche à côté! M'enfin, j'ai des habits propres pourtant....Il me lave deux fois la tête, m'arrache le cuir chevelu avec une brosse de torture semblable à une éponge à récurer les marmites (même sensation en tout cas)...mais rien n'y fait, il faudrait dix lavages. De toute façon je lui propose de me raser, pour 1 euro de plus il sort un rasoir de barbier, je suis un peu sceptique et pas très rassuré, d'autant plus qu'en même temps il regarde son feuilleton à la télé...Mais finalement son rasoir est très efficace et il a le coup de main, sans savon, sans eau, sans mousse a raser, sans rien quoi ! Et une seule coupure en tout et pour tout, un détail par rapport à quand je le fais moi-même. Entre temps, Ilsen est passé par là, il s'amuse, une pellicule sur Vinh chez le coiffeur au Maroc.
Le soir on traverse Guelmim, on ne s'arrête pas car Claude cherche l'oasis pas loin de la ville, où nous allons passer la nuit et la journée de demain. On arrive peu avant la tombée de la nuit, on est parmi les palmiers et les dattiers, il y a pas mal de jardins autour et donc de gens, j'irai voir demain matin au réveil. Ai mis 17 films en spire pour Ilsen, qui "shoote" et développe beaucoup en ce moment. Une bonne action de faite.


7/03/2008


Journée à l'oasis, entourés de dattiers; je fais une grasse matinée, jusqu'à 8h, pour le 3e ou la 4e fois depuis le début du voyage. Un homme vivant au village à coté de l'oasis nous invite, Ilsen, Sabine et moi, à prendre le thé chez lui. On mange également du pain avec confiture et huile d'olive, on passe réellement pour des affamés, d'autant plus que c'est très bon. Pas de photos, faute de sujet. Clémence a fait 200 photos de dattiers...mais moi je préfère ce qui respire et qui parle. Je tente une balade dans l'oasis mais après 50m je reviens, pas d'âme qui vive...Ce matin j'ai montré mes deux dernières planches a Claude, celles de la fin du Mali, il voit des images excellentes; il pense qu'avec de beaux tirages je peux en vendre à 75-100 euros. On a parlé un peu de l'après-formation, il pense que le mieux pour moi, vu le nombre d'images rapportées, serait de tout faire pour montrer mes images partout ou c'est possible, collectifs, site internet, lieux d'exposition etc. Pour lui c'est la clé incontournable mais qui demande temps et travail ; je pense donc acheter un labo pro au retour à Canaules, et travailler les tirages d'expo, à vendre ici et là, en 30x40cm sur baryté (papier photo cartoline).
Beaucoup de travail en perspective mais qui devrait me faire beaucoup avancer, faire connaître mon travail et peut-être rembourser les frais. Attente a l'oasis avant d'aller à la ville, dur de passer le temps,
j'allume des cigarettes pour les stagiaires avec la loupe de mon compte-fils...j'ai essayé de faire bouillir un fond d'eau dans un bouchon, mais j'ai cuit avant!

8/03/2008, Guelmim


Hier, fin d'après-midi à Guelmim, d'abord au souk puis en ville. Le souk pas très intéressant, je mange 500g de fraises, puis m'arrête sous une tente manger un œuf dur avec trois hommes qui m'emmènent voir les dromadaires à vendre.
En ville avec Sophie on marche un peu, c'est plein de rues intéressantes, il y a même des sortes de brocantes. Arrêt cyber, puis on mange dans un petit restaurant, six sardines frites et 1/4 de poulet rôti.
Le soir au départ les feux de croisement de Lulu ont rendu l'âme, c'est la troisième fois depuis le début du voyage. Changement de fusibles, rien n'y fait. Apres une heure on finit par partir quand même, alternant feux de route et, plus embêtant, feux de position.
A midi, arrêt à Tiznit, je cherche des tajines avec Thomas, on en trouve à 2 euros pour deux personnes.
Dans la rue, un homme vient nous voir en jouant de la flûte, on rigole en se disant qu'il va sortir des serpents de son sac et effectivement, il en sort plusieurs, des sortes de couleuvres d'un mètre de long, pour nous montrer qu'ils n'ont pas de poison il écarte leurs mâchoires pour se faire mordre la langue...chose curieuse, il sort également un gros scorpion du même sac, apparemment pas dangereux puisqu'il le manipule comme les serpents, le mettant même sur son visage. Etonnant que cinq ou six serpents cohabitent avec un scorpion dans le même sac en toile...
En tout cas un des serpents est très beau et on tombe tous sous le charme, il n'est pas effrayé et on le ramènerait bien comme mascotte! Pourtant je n'ai jamais eu d'attirance pour ces bêtes-là...Il propose de nous les vendre à 5 euros, dommage qu'on ne puisse pas passer la douane avec!
Après Tiznit, arrêt à Ait Melloul, où Albert et Lulu ont leur garagiste attitré, Saïd. On y fait réparer les phares, rembourrer la banquette avant d'Albert. Deux jours plus tôt on avait également dû changer un rétro de Lulu, qui est tombé en roulant, le boulon scié net à cause des vibrations.

Avec Sophie on se fait inviter de force par un "fou" dans une échoppe, il commande deux assiettes pour nous, du poisson frit et des beignets de poisson, avec sauce tomate et piment. On ne comprend rien à ce qu'il dit, les gens autour rigolent et nous disent qu'il est fou. En tout cas il est bien sympathique et on passe un bon moment, un peu surpris d'avoir été invités au moment même où on franchissait la porte.
Retour au camion, Saïd nous a préparé thé, beignets et miel, huile d'olive, amandes...conclusion, on n'a plus faim pour le soir. On roule jusqu'a un supermarché "Métro", pour que les stagiaires en manque puissent s'acheter vin, bières et autres denrées...la plupart alcoolisées. L'idée étant de passer une soirée vin-fromage marocain. Malheureusement une fois arrivés au campement l'ambiance est morose alors histoire de ne pas perdre le peu d'appétit qu'il me reste suite aux poissons frits, je mange un peu à l'écart, comme d'autres d'ailleurs, et vais me coucher tôt.

9/03/2008


Réveil ce matin, humidité, tout est trempé...y compris les gens ayant dormi dehors. A ajouter à la liste des ennemis des nomades, avec le sable, les kram-kram et la poussière...
On passe la matinée à Ait Melloul, c'est une ville avec beaucoup d'artisans, menuisiers, garagistes, bouchers...beaucoup de sujets intéressants mais comme à l'aller je n'ai pas pris de boitier. Après jus d'orange pressé, thé, omelette, pain et huile d'olive, crêpes au miel, je marche un peu vers un petit marché, achète des fraises que je partage avec les gens que je rencontre. Cela fait deux jours qu'une idée me trottait dans la tête, et avec un peu d'insistance j'arrive à obtenir deux gros crochets à viande avec deux bouchers, l'un plus petit pour les moutons, et un grand pour les quartiers de bœuf (le plus impressionnant étant les quartiers de dromadaires, comme dans le Sahel)...Je les accrocherai dans mon futur appartement en guise de porte-manteaux, à côté des couteaux de bouchers maliens sur le mur!
L'après midi, quelques heures de route dans les montagnes pour rejoindre Marrakech. Beaucoup de camions surchargés, difficile de doubler dans les virages à 40km/h.
Lors d'une pause toilettes on achète des sandwiches kefta mémorables, les meilleurs de tout le voyage au Maroc. Endroit à marquer d'une pierre blanche.
Le soir, arrivée à Marrakech, on s'arrête au Marjane, immense centre commercial comparable à un Leclerc. Déjà à l'arrivée en ville, grande effervescence, mais le Marjane nous rappelle malheureusement que dans moins d'une semaine c'est le retour dans un autre monde!
Ce soir on est dans un camping, comme à l'aller, on peut dormir en tentes ou sur le toit, ce qui fait bizarre, à côté de la route, sur des graviers, sous les lampadaires! Ai pu prendre une douche chaude, la dernière avant Canaules!

10/03/2008, Marrakech


Journée shopping à Marrakech. On est dans la Médina, très touristique, plus d'Européens que de Marocains dans les rues, mais c'est quand même une déambulation très agréable, à flâner dans les petites ruelles bondées. On est tous revenus avec de nombreux achats: pas mal de sacs en cuir, bijoux, boîtes, épices...Je ramène une grande sacoche en cuir pour y mettre des tirages 24x30cm et mon futur portfolio...moins de 30 euros. On trouve également pierre d'alun et savon noir en vrac. Un des vendeurs exhibe devant son magasin une vertèbre de baleine, trouvée à Agadir, elle est énorme.
Un déclic derrière moi, un touriste a pris en photo mon boitier, comme si c'était un objet de collection! J'hallucine, je rentre dans son jeu et lui montre la poussière du Mali au dos du boitier, il est aux anges...
Un vendeur de bijoux anciens me propose d'acheter mon bracelet en argent pour 4 fois le prix que je l'ai payé en Mauritanie mais je refuse. Plusieurs personnes veulent également m'acheter mon sac peulh, je les dissuade vite avec un prix prohibitif, 100 euros!

11/03/2008


Hier soir on a roulé tard dans la nuit pour quitter Marrakech, on s'arrête épuisés dans une forêt juste au bord de la route. Claude nous réveille à 5h30, on a 10mn pour ranger les tentes et repartir. Petit déjeuner rapide à la station.
Arrêt à Larache, dernier repas marocain avec Thomas, assiette de poissons et de crevettes. Balade dans les anciens quartiers de la ville.
On fait réparer le pneu crevé il y a deux semaines.
Ce soir, normalement, on passe la douane pour quitter le Maroc, effervescence pour ranger casiers et soutes.

12/03/2008

On a quitté le Maroc, après un bref passage en douanes sans fouille; on a dormi à Sebta, dans le parking du ferry, côté Maroc donc mais après la frontière, donc en territoire espagnol. Donc, alcool à volonté pour les autres stagiaires, jus d'orange pour moi, et saucisson et fromage! Pour la nuit on réinstalle les planches dans les caissons, on a dormi à 4 dans le caisson de Lulu, 6 dans celui d'Albert, 3 dans la cabine d'Albert et Jérôme en cabine de Lulu. Ai plutôt bien dormi, réveil à 6h. Bientôt, à nous les achats, saucissons, bouteilles de pastis à 1,80 euro, tapas...
Ce matin vers 8h je pars avec Thomas chercher un distributeur pas loin du ferry, on sait que l'on partira dans la matinée mais pas à quelle heure et Claude nous dit qu'on a le temps, je prends du retard, d'autant plus que les gabiers sont loin et en plus ma carte reste bloquée. Heureusement avec l'aide des employés je la récupère.
Conclusion, quand on arrive les camions ont disparu (Claude m'expliquera plus tard qu'ils n'ont pas eu le choix et qu'ils ont dû prendre le premier ferry pour éviter de payer 1000 euros supplémentaires), on va voir les policiers mais rien n'y fait: ils ne comprennent pas et nous renvoient à l'entrée pour les piétons (pourtant Claude leur avait donné nos noms avant de partir, mais on ne pouvait pas le savoir). Une fois là-bas on demande de l'aide à deux policiers qui, au lieu de nous aider, nous emmènent dans une pièce pour nous fouiller! Bravo la police, on se retrouve en salle d'embarquement après avoir acheté deux tickets à 30 euros chacun, et là on passe pour des clandestins, on perd encore dix minutes car ils pensent que mon passeport est faux, ils le regardent sous tous les angles, à la loupe, à la lumière UV et j'en passe...on se marre, on se dit qu'à tous les coups ils vont me trouver un passé judiciaire et qu'on va passer la journée au poste. C'est vrai qu'on a une sale dégaine, lui pas rasé depuis trois semaines, moi avec mon sac peul, tous deux avec des habits sales et sans aucun bagage...
Finalement on passe et on peut prendre le ferry, et heureusement les autres nous ont attendu à Algeciras à l'arrivée, on se voyait déjà faire du stop jusqu'à Canaules!
Roulé toute la journée, on se goinfre de saucissons et de calamars...Le soir, arrivée à Guadix, bar à tapas, 1,80 euro la bière et l'assiette de tapas!

Quelques chiffres...

L'aventure africaine, c'était :


· 17 personnes au départ, incluant 12 stagiaires, deux assistants, un modèle, un chauffeur et notre formateur


· 14 personnes à l'arrivée


· un périple de 15 000 km, de 10km/h en hors piste à 70 km/h sur autoroute


· une consommation d'environ 4000 litres de gasoil par camion...


· un nombre incalculable de films développés sur place, peut être 400 ou 500?


· 14 douches pendant tout le voyage, pour moi, et 4 lessives...


· 18 espèces de poissons identifiées


· environ soixante appareils photos ont été emmenés, incluant appareils numériques, réflex argentiques et boitiers moyens format


· une cinquantaine d'objectifs pour réflex...


· On s'est embourbés ou ensablés 15 fois avec Albert, seulement 6 fois avec Lulu


· Pas mal de kilos perdus, il parait que d'habitude les stagiaires prennent du poids à force de manger, mais cette année il y a eu tellement de malades qu'ils ont beaucoup perdu, quelquefois 5kg en quelques jours...moi je suis revenu à mon état normal avec du gras de bide en moins !:)


· un nombre incalculable de médicaments ingérés...


· 0 vol ou agression, en revanche, beaucoup de filles importunées par des mauritaniens trop entreprenants, conséquence logique de leur manque de prudence et de méfiance... (tout le monde est beau et gentil, c'est connu)...et manque de respect des coutumes locales (pas de cigarettes, épaules couvertes...)...déplorable.


· 2 pertes de carte bleues, l'une avalée par un distributeur, l'autre perdue avec le portefeuille


· au moins 4 ou 5 boitiers sont morts, et d'autres vont sûrement lâcher prochainement


· plus de 900 films ont été emmenés et exposés durant le voyage, incluant de la diapo et du moyen fort couleur


· j'ai pris 1700 photos argentiques, et une sélection de 200 ou 300 images à tirer


· 12 couteaux ramenés, 18 peaux de chèvre, 4 habits traditionnels


· des dizaines de coups de gueule, de crises de nerfs, de larmes


· des centaines de rencontres, de moments de bonheur, de partage, de cadeaux...


· des températures allant de -5°C a 35°C...du Haut Atlas enneigé au désert de Mauritanie


· des milliers de cigarettes parties en fumée, et autant de cafés et thés avalés


· 200 boites de sardines et de vache qui rit, 30 boites de compote, 30 boites de lentilles saucisses, 3 jambons secs


Et voila pour les chiffres!

15/03/2008, Nîmes, gare.


Et voilà, l'aventure est terminée! Après deux jours et demi de route à 70 km/h pour traverser l'Espagne, on est arrivés à Canaules dans l'après midi, non sans avoir fait de courses à la frontière, je me retrouve avec un jambon sec de 8kg et un cartons de saucissons...Les derniers jours ont été durs, 12h de route, reprise à 5h30 du matin...
Arrivés à Canaules, on déniche des gros cartons et sacs, on vide les casiers et les soutes. Pour nous, le plus dur a été quand on a vu le panneau "Canaules, 3,5km"...les regards se fuyaient, des larmes ont coulé...


Retour à l'appartement, quel silence, étrange sensation que de dormir dans un lit, j'ai dormi dans mon sac de couchage !

Mais si l'aventure africaine est terminée, l'atelier nomade ne l'est pas, et dès mon retour de la Réunion le 20 avril, préparation du CAP et tirages d'expo.